RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

Commentaire sur :
La chute, de Oliver Hirschbiegel

10 janvier 2005


Pour lire un peu plus :

- A propos de l'antisémitisme
- A la découverte du mal
-
Histoire du négationnisme en France

- Pathologie du pouvoir

Les commentaires sur La chute, de Hirschbiegel, me surprennent. Qu’Adolf Hitler soit représenté comme un être humain, cela indigne certaines personnes. Mais qu’un être humain soit un pervers, qu’il manque d’humanité au sens moral du terme, cela ne l’empêche pas d’appartenir à l’espèce humaine !

Pourquoi tant de gens ont-ils besoin d’exclure Hitler de notre espèce, de le considérer comme un monstre, un être à la fois horrible et incompréhensible ? C’est parce qu’ils se font de l’espèce humaine une idée confortable à laquelle ils tiennent beaucoup.

Le Mal auquel Hitler adhérait de toutes ses forces, le désir de toute-puissance, ils ne veulent pas voir qu’il est présent en chacun - plus ou moins maîtrisé sans doute, mais aussi d’autant plus sournois qu’il est moins conscient.

*  *

Certes, le Mal ne s’épanouit pas chez tous selon une mise en scène aussi théâtrale, aussi grotesque que celle du nazisme. Notre perversité est généralement assez discrète pour que nous puissions jouir de la bonne conscience que confortent nos émotions.

Nous débordons de compassion envers les victimes de catastrophes éloignées dans le temps, comme l’extermination des juifs, ou dans l’espace, comme le raz-de-marée de l’océan indien. Cela ne nous empêche pas de faire discrètement des victimes autour de nous : celui qui sert de bouc émissaire et dont on se rit entre collègues à la cantine ; celui qui a été mis au placard et dont on se détourne, quitte à faire ami-ami quand il sera revenu en grâce ; les fournisseurs, les clients, les partenaires, que l’on s’amuse à coincer en s’appuyant sur la lettre d’un contrat. Nous faisons aussi des victimes en famille, en société : qui, par exemple, s’intéresse au sort des détenus ?

Le Mal qui nous travaille, ce petit Hitler que nous portons en nous, se révèle lors des instants de lucidité angoissante où nous nous voyons agir de l’extérieur. Comme cela nous remplit d’une honte douloureuse, nous avons tendance à l’oublier pour revenir vite aux indignations faciles, aux émotions vertueuses, aux sentiments généreux. Regarder bien en face la composante perverse de notre être exige un effort pénible, mais salubre.

*  *

Oui, Hitler était un être humain tout comme nous, et nous lui ressemblons plus que nous ne voulons le savoir.

Regardez sur les photographies son visage tendu et crispé, son regard furieux. Lisez Mein Kampf, même si c'est un exercice déplaisant. Étudiez l'histoire, lisez les témoignages. Cet homme s’était enfermé dans une alternative suicidaire : la toute-puissance ou la mort.

La haine des juifs n’était pas chez lui une idée fixe poursuivie avec une obstination maniaque, mais le pivot d’une personnalité construite sur le refus passionné de la finitude de la condition humaine, sur une quête de gloire et d'immortalité. Le judaïsme, qui accepte la finitude et espère l'avènement du Royaume de justice sur terre à la fin des temps, lui était radicalement contraire.

J’ose dire que ceux qui ne comprennent pas la personnalité de Hitler[1], qui ne savent trouver en eux-mêmes aucune trace du même métal, ne peuvent pas comprendre non plus ce que le judaïsme apporte à l’humanité[2].

*  *

A quoi sert le « devoir de mémoire » à propos de l'extermination des juifs ? S’il suscite ce frisson d’horreur qu’accompagne parfois une secrète délectation sadique, il ne sert à rien. S’il aide à voir ce qu’est le Mal, à comprendre qu’il existe en nous, à écouter la leçon du judaïsme, il est utile.

Le judaïsme n’est pas une religion de victimes éternellement sacrifiées, mais le témoin d'une espérance qu’il a transmise aux autres religions monothéistes, ses deux filles ingrates. Il est donc naturel qu’il soit combattu, y compris parmi les juifs, par ceux qui, haïssant l’espérance, servent le Mal de tout leur désir.


[1] Les contresens étant une plaie, je rappelle qu’en français « comprendre » quelqu’un ne signifie pas qu'on l’« approuve » ni qu'on l’« excuse » : mais que l’on sait comment cette personne fonctionne.

[2] Elie Benamozegh, Israël et l’humanité, Albin Michel 1961.