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Pathologie du pouvoir

28 avril 2007

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Pour lire un peu plus :
- Staline
- La chute
-
Les enfants gâtés
-
Discours de la servitude volontaire
-
Recherche et Pouvoir
-
Images de la mort
-
Le penseur et le politique
-
A la recherche de la stratégie

On ne peut plus parler aujourd’hui des « hommes de pouvoir », puisque des femmes sont désormais elles aussi atteintes par cette maladie. Je parlerai donc ici des « gens de pouvoir ». L’élection présidentielle nous offre à répétition le spectacle affligeant de leur copulation avec une foule qui les adule : l’affirmation de l’un s’emboîte à la servilité de l’autre.

Je revois cette collègue qui, l’œil humide, confiait son admiration pour un de ces hommes de pouvoir qui prospèrent dans l’entreprise. « Il a le ki », disait-elle, ne connaissant sans doute que par la lecture le chinois qì (souffle, esprit, force morale etc.) qui se prononce tj’eu.

On les dit en effet « énergiques », ces personnes complaisantes envers elles-mêmes qui, pratiquant le culte de soi, se mentent plus encore qu’elles ne mentent à autrui. J’ai bien connu certaines d’entre elles, j’ai vu leurs procédés, je crois pouvoir en esquisser un tableau clinique.

*     *

Le moi des gens de pouvoir est hypertrophié. Comme les tueurs en série, ils ont souvent eu une enfance malheureuse. Ayant été privés d’affection et maltraités, ils ont besoin de s’affirmer, de dominer, de soumettre. L’excès d’affection peut toutefois avoir les mêmes effets : certains d’entre eux ont été des enfants gâtés.  

Ainsi propulsés vers la quête du pouvoir par leur enfance, ils y sont en outre refoulés par la perspective de la mort, qui apporte au culte de soi une contradiction radicale. Si vous évoquez la mort devant un homme de pouvoir, vous le verrez blêmir : elle lui inspire une peur affreuse, métaphysique, et il consacre une moitié au moins de son « énergie » à se divertir pour éviter d’y penser (voir Images de la mort).

Pour dominer, pour soumettre, les gens de pouvoir développent un art efficace de la séduction. Ils savent quand il le faut flatter l’interlocuteur et abonder dans son sens. Ils savent aussi se poser en victime, se faire plaindre par des personnes généreuses et naïves : ainsi Nicolas Sarkozy prétend être la cible d’une « chasse au faciès », Ségolène Royal dit qu’on la maltraite « parce qu’elle est une femme ».

La contradiction fait plus que les contrarier : elle les indigne car elle est une offense au culte qu’ils vouent à leur personne et auquel ils estiment que chacun devrait participer. Ils sont des « menteurs sincères » : leur personne, étant divinisée, est la source de la vérité bien plus que ne peuvent l’être l’expérience ou le constat des faits (voir Le penseur et le politique). Ils affirmeront donc, selon l’intuition et l’impulsion du moment, mais toujours avec la même puissance de conviction, des « vérités » qui se contredisent - et qui s'annuleront donc dans l'esprit de l'auditeur attentif.

*     *

Il faut distinguer l’homme de pouvoir du pervers. Ce dernier a besoin d’humilier et de faire souffrir, ce qui n’est pas la même chose que dominer et soumettre. Pour satisfaire son penchant, le pervers recherchera parfois le pouvoir mais il préfèrera les fonctions de petit chef qui lui suffisent pour cultiver discrètement ses plaisirs.

Coincés par la tenaille que forment l’enfance et la mort, les gens de pouvoir sont des personnes malheureuses. On doit donc les plaindre, non pas certes pour les complots et attaques dont ils se disent victimes, mais pour le mécanisme implacable qui les fait agir. Leurs victimes sont bien sûr plus à plaindre encore.

On peut les estimer coupables : le conditionnement que subit un être humain n’étant jamais absolu, ils ont à certain moment crucial de leur vie choisi de se laisser aller au culte de soi. Mais on peut juger plus coupables encore ceux qui leur cèdent, les admirent et leur obéissent, car la servilité encourage, appelle et suscite l’oppression (voir Discours de la servitude volontaire).  

*     *

Il ne faut pas croire enfin que tous les dirigeants soient des gens de pouvoir. Les politiques, par exemple, ne sont pas tous atteints de cette maladie : Georges Mandel, Pierre Mendès-France, beaucoup d’autres ont agi pour le bien commun. On rencontre aussi, dans l’entreprise, des patrons qui n'éprouvent pas le besoin de dominer, mais oeuvrent pour l’efficacité de la production et l’utilité des produits.

Un peu de réflexion, de vigilance, d’expérience permettent de résister à la séduction des gens de pouvoir, en réservant son respect aux seuls dirigeants authentiques.