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Encore l'antisémitisme

2 avril 2002


Liens utiles

- A propos de l'antisémitisme
- Honte
- Fierté

On peut douter de l'intelligence d'Ariel Sharon. Comment peut-il, en effet, se donner comme but de "détruire les infrastructures du terrorisme", alors que le terrorisme a par définition des infrastructures insaisissables ? Sharon a réussi à donner à Yasser Arafat le statut médiatique d'une victime alors même que celui-ci lance des appels exaltés et criminels pour qu'il y ait "des millions de martyrs". Exiger qu'Arafat fasse cesser les attentats alors que l'on détruit ses moyens d'action, c'est se donner l'image de la mauvaise foi. Une fois lancée la mode du suicide "héroïque", il ne lui serait d'ailleurs pas facile d'arrêter les attentats, à supposer qu'il le veuille. 

Il faut négocier. Quand Sharon fait de la fin des attentats la condition de la négociation, il accorde d'avance aux extrémistes la possibilité de faire capoter toute négociation sur le point d'aboutir. 

Il y a quelque chose de tragique dans l'affrontement de deux hommes aussi entêtés l'un que l'autre et suivant chacun une démarche suicidaire. Certes, c'est aux Israéliens et aux Palestiniens et à eux seuls qu'il revient de choisir leurs dirigeants respectifs ; mais comme leur suicide serait aussi par ricochet le nôtre, nous sommes en droit de leur dire, avec tout le respect convenable, que nous préférerions des politiques moins machistes, des politiques qui ne confondent pas la violence avec l'énergie, la force avec le courage.

*  *

Mais revenons en France : c'est là le terrain de notre responsabilité propre. Les émotions que suscite le conflit entre Israël et les Palestiniens ne justifient en rien les attentats contre les synagogues, les écoles juives et les personnes. L'émotivité attisée par les médias est la plaie de notre époque. Dans des esprits immatures qui ne sont pas seulement ceux des jeunes, le monde réel se confond avec son image, le tir d'une arme à feu ressemble à un jeu vidéo, le meurtre d'un être humain à la suppression d'une image virtuelle. La sensation de la violence, devenue aussi nécessaire qu'une drogue, réclame le couronnement du passage à l'acte. Dès lors les symboles deviennent des cibles : les pompiers, caillassés comme les policiers ; aujourd'hui les synagogues et les écoles juives, parce que les médias attirent l'attention sur Israël ; demain d'autres lieux de culte, écoles, institutions, selon l'attention que les médias leur apporteront. 

La dilution de la frontière entre l'image et la réalité procure à l'esprit une "liberté" qui se déploie dans l'imaginaire où elle ne rencontre aucun obstacle et ne supporte aucune responsabilité. Il y a là une métaphysique aux racines plus anciennes que nos cités de banlieue et que la "violence" de nos "jeunes". Substituer le dogme au rapport expérimental avec la nature, l'affirmation idéologique à la curiosité, l'enfermement dans la certitude à l'écoute, transformer la souffrance en argument d'autorité, cela remonte à loin et cela dicte des attitudes de tous les jours. Si notre société, après un demi siècle de paix et de prospérité, a développé des germes de superficialité, d'émotivité et d'abstraction, c'est qu'ils y étaient présents depuis longtemps. 

*  *

Or la culture hébraïque en est exempte. Les juifs sont, parmi nous, porteurs de valeurs qui font défaut à notre culture. La culture hébraïque ne pratique l'abstraction qu'avec prudence, en relation avec l'expérience ; elle est ouverte à la complexité de la nature. La racine de l'antisémitisme, ce n'est pas la haine de l'autre, ni l'émotion suscitée par le conflit du Moyen-Orient : c'est le refus de la parole féconde dont les juifs sont porteurs, c'est la complaisance envers un piège métaphysique dans lequel nous risquons de rester enfermés. Le judaïsme répond à des problèmes  de civilisation tellement profonds qu'ils sont indicibles : leur simple énoncé suscite d'intenses souffrances et provoque des réactions de colère. 

L'antisémitisme est un thermomètre qui permet d'évaluer l'état de santé d'une société. Plus elle sera malade, tourmentée, suicidaire, plus elle aura besoin d'affirmer des illusions, de refuser l'expérimentation, plus elle sera antisémite. Plus elle sera équilibrée, constructive, plus elle sera ouverte aux apports de l'hébraïsme. 

L'autre jour des Allemands ont entrepris de m'expliquer l'antisémitisme : "Les juifs, me dirent-ils, avaient pris avant guerre en Allemagne tous les postes de responsabilité dans la magistrature, la médecine, les affaires, nous n'étions plus maîtres chez nous". "Allons donc, leur dis-je ! le régime nazi a exterminé des familles d'origine juive converties au protestantisme depuis plusieurs générations ; il a, lors de sa guerre de conquête, massacré des villages de paysans juifs. Les juifs n'étaient pas des riches qui complotaient entre eux pour dominer. Si l'Allemagne, soit dit en passant, les avait respectés, elle n'aurait pas perdu la guerre pour la bonne raison qu'elle ne l'aurait pas provoquée. L'antisémitisme allemand n'a pas été une affaire sociologique ni même raciale, même si le racisme lui a fourni son contingent de concepts : c'était une affaire métaphysique, dans le droit fil des origines gnostiques de la philosophie et de l'université allemandes. Le ressentiment dont vous vous faites l'écho est venu de surcroît : celui qui extermine a besoin de se sentir dans son droit. Les racines métaphysiques de l'antisémitisme sont d'ailleurs présentes non seulement en Allemagne mais dans tout l'Occident ; elles ne pourront être extirpées qu'en revenant à la source hébraïque, sémite, de notre culture". 

Conclusion

Sur le plan militaire, et malgré la "victoire" américaine, je persiste à penser que la réponse américaine en Afghanistan et la stratégie de Sharon sont toutes deux inappropriées (cf. Honte). Il ne faut pas hésiter à utiliser la force, mais dans la durée elle ne paie que si on l'associe à la diplomatie. 

Après la guerre d'Algérie nos militaires disaient : "Sur le plan militaire, nous avions vaincu ; la France a été battue sur le plan politique". Mai on ne doit pas séparer les facteurs de tous ordres qui déterminent la victoire et la défaite : militaire certes, et aussi culturel, politique, médiatique, industriel, commercial etc. Si l'action de Sharon parvenait à bloquer les terroristes, elle pourrait se justifier. Malheureusement elle est de nature à les multiplier. Quant à Arafat, j'ai été définitivement éclairé sur son compte le jour où il a dit souhaiter "des millions de martyrs". 

Je suis modeste dans mon approche du judaïsme, continent culturel des plus vastes devant lequel je ne suis qu'un étudiant. Le Talmud m'apporte beaucoup et sa lecture est un long voyage : je n'ai pas fini de le méditer, de même que je médite l'incarnation qui est l'apport spécifique du christianisme. Je n'idéalise pas les juifs - s'agissant d'êtres humains, la proportion d'imbéciles est chez eux la même que dans n'importe quelle autre fraction de l'humanité - mais je crois que le judaïsme apporte au monde un point de vue qui éclaire le rapport de l'être humain avec lui-même ainsi que son insertion dans la nature et dans son destin - donc son rapport avec Dieu. Je crois que c'est cela que les antisémites refusent. 

Il faut hic et nunc s'opposer aux propos et aux actes antisémites et témoigner aux juifs français non seulement de l'amitié et de la compassion, mais de l'estime et de la reconnaissance pour ce qu'ils apportent à notre nation.