Le procès de Saddam Hussein est
en cours, ainsi que celui de Slobodan Milosevic. Bachar El Assad est accusé d’avoir trempé dans l’assassinat de Rafic
Hariri. Mahmoud Ahmadinejad semble vouloir
rejoindre cette liste : il vient de dire qu'il fallait "rayer
Israël de la carte" et s'active pour obtenir l'armement nucléaire qui le
lui permettra.
Il est bon qu’un assassin, quel
que soit son statut, puisse être jugé et condamné. Personne ne souhaite qu’un
État soit gouverné par un assassin. Mais que penser du chef
d’État de la première puissance mondiale, qui entend mener les autres devant les
tribunaux mais se comporte en tortionnaire (tout en se disant opposé à la
torture, c'est la règle du genre) ?
Par l’intermédiaire de son
vice-président, il s’entête en effet à légaliser la torture qui, visant
l’intégrité même de la personne humaine, est pire qu’un meurtre et se termine
d’ailleurs souvent par une mort d’homme (voir « Legalized Torture, Reloaded »,
éditorial du New York Times, 26 octobre 2005, ainsi que
le rapport d'Amnesty International).
* *
Nous serons tous en principe
d’accord, semble-t-il, pour dire que celui qui organise la torture et le meurtre
est un assassin doublé d’un lâche. Mais si l’on prononce le nom, si l’on évoque
la fonction, les principes cèdent mollement : c'est comme si cette personne, cette
fonction, avaient le privilège d'être dispensés de la simple humanité qui s’impose
pourtant à tout être humain, à toute fonction.
Sommes-nous donc tellement
admiratifs et soumis devant la force ? Sommes-nous incapables de dénoncer un crime
quand il est commis par quelqu’un qui détient, de façon légitime, le plus grand
pouvoir qui soit au monde ? S'il en était ainsi, nous
serions nous-mêmes des lâches et des complices.
* *
Mais pourquoi réclame-t-il
avec une telle insistance le droit de torturer des prisonniers alors que les
chefs militaires jugent cette pratique non seulement dégradante, mais
inefficace et que des sénateurs, y compris parmi ceux de son parti, lui sont eux
aussi très fermement opposés ?
C’est pour des raisons
électorales. Celui qui se comporte en brute acquiert une image de « leader »
auprès d’un électorat qui confond la violence et l’énergie. Mais cela peut se
retourner : si les médias diffusent non plus des paroles de protestation mais
les photographies des personnes qui ont subi les sévices, la compassion s’éveillera et avec elle la
honte comme cela s'est passé avec les photographies prises à la prison d'Abu
Ghraib.
C’est pour une raison
théologique : je crois que c'est là la raison principale. Dans la lutte du Bien contre le Mal, il faudrait que les
sectataires du Mal fussent humiliés. Il conviendrait non seulement de leur
dénier l’humanité, mais de les dégrader au point qu’ils descendent au-dessous de
l’animal. Un tel sacrifice humain, censé porter chance selon un
mécanisme symbolique et magique, fut le ressort
de quelques cultures archaïques. Il a été l'un des ressorts du
nazisme.
L’esprit du Mal veille en
chacun. Son habileté suprême, c’est de se déguiser en défenseur du Bien, en
redresseur de torts, en propagandiste de la Foi, de la liberté et du droit. Mais
on peut le juger à ses fruits et alors ses actes le démasquent : celui qui organise
la torture et le meurtre des prisonniers, fussent-ils qualifiés de terroristes,
révèle n'être qu'un lâche et qu'un assassin, quel que soit le respect que l'on
doit à sa
fonction et à sa légitimité. |