RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

Qui a tort, qui a raison ?

29 août 2005

Pour lire un peu plus :

- Le tort d'avoir raison
- La personne du prisonnier est sacrée
- Torture et liberté
- L'Amérique en armes
- Evolutions de l'opinion
- Les pertes américaines en Irak
L'opinion d'autrui est intéressante mais il ne faut pas lui accorder trop d'importance : elle s'exprime parfois de façon excessive. Lorsque je travaillais à l’INSEE, un collègue quelque peu détraqué avait coutume de s’écrier « quel con ! » chaque fois qu'il me croisait dans un couloir ; il prononçait cela « k'hel k'hon ! », avec un k aspiré. Cela me faisait sourire, et je me disais qu’un pauvre fou peut par hasard être clairvoyant : je suis tellement stupide devant la masse des choses que j’ignore…

De même, on aurait tort de prendre au sérieux ce que disent sur la France les feuilles à sensation britanniques ou un quotidien comme Maariv.

*  *

Dans la presse américaine, l'adjectif « French » est utilisé ces jours-ci comme synonyme de paresseux, sophistiqué, futile, peu sérieux, peu fiable, peu courageux et j'en passe. Un journaliste écrira « I feel French today », pour dire qu'il se sent flappi, vaseux, sans énergie. Certes, ces qualificatifs révèlent l'ignorance crasse de ceux qui les utilisent, mais ils ne sont pas sans conséquences pratiques.

Le French bashing amorcé lorsque notre pays a dit son désaccord avec les projets de George W. Bush se poursuit donc alors que 57 % des Américains réprouvent la façon dont Bush conduit la guerre et que 53 % estiment qu'il aurait mieux valu ne pas la faire (source : Washington Post - ABC News Poll, 28 août 2005 ; voir les graphiques dans Evolutions de l'opinion).

Si vous trouvez cependant dans la presse américaine un article suggérant que la France, ou tout autre pays opposé dès le début à cette guerre, a peut-être eu raison, indiquez-le moi, je l'attends : tout se passe comme si nous avions eu le tort d'avoir raison trop tôt. Et ce tort là est impardonnable !

Selon un sophisme étonnant il faudrait aujourd'hui que la guerre continuât en Irak, que des soldats américains s'y fissent tuer dans le futur, parce que des soldats américains s'y sont fait tuer dans le passé  : « We owe them something, we will finish the task that they gave their lives for », a dit Bush (« President Bush's Loss of Faith », éditorial du New York Times, 24 août 2005).

*  *

Il est vrai que nous avions acquis dans des guerres coloniales ou néo-coloniales une expérience que le Vietnam n'a pas suffi à inculquer aux Américains. Nous savons que l'on y perd non seulement des hommes, mais le respect de soi-même. Les mauvais traitements, allant jusqu'à la torture et au meurtre, infligés à des prisonniers à Guantánamo, en Irak et en Afghanistan nous rappellent douloureusement les crimes commis naguère en Algérie. Ils révoltent beaucoup d'Américains et pèseront longtemps sur la conscience de leur pays. C'est un drame plus grave, plus destructeur encore que celui du Watergate en 19721.

*  *

On a grand tort de rire de Bush. A travers lui et son équipe « les héros de Shakespeare revivent », comme disait Dietrich Bonhoeffer.

Bush est un personnage tragique et complexe qui rappelle le Richard III de Shakespeare2 : religiosité affichée (et électoralement fructueuse), énergie, persévérance, indifférence envers l'opinion d'autrui, égoïsme s'exprimant avec une naïve franchise.

Nous autres Français avons aussi nos héros de Shakespeare, ce sont ceux que l'on qualifie de « présidentiables ». Mais ils n'ont rien de tragique : quand on les observe, embarrassés mais à l'affût de la posture efficace (pour eux) et de la petite phrase assassine (pour leurs concurrents), ils font plutôt penser au Falstaff des Joyeuses commères de Windsor.

Pendant le temps ainsi perdu, l'histoire suit son cours implacable
Et dans sa sombre plaine, ô douleur, j'entends rire
Le noir lion de Waterloo ! 3


1Il est intéressant, pour compléter l'information quotidienne et en dégager la tendance, de relire aujourd'hui Carl Bernstein et Bob Woodward, All The President's Men, Secker & Warburg 1974.

2William Shakespeare (1564-1616), The Tragedy of King Richard III (1597) et The Merry Wives of Windsor (1602).

3Victor Hugo (1802-1885), « La reculade » in Les châtiments (1853).