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Après le premier tour

22 avril 2002

Les Français se sentent tout bêtes ce matin. Mais ils auraient tort de pester contre les hommes politiques puisqu'ils les ont choisis.

Voici mon pronostic : 
- Jacques Chirac sera élu au second tour avec plus de 80 % des voix, à condition que l'on n'offre pas à Le Pen le statut de la victime. 
- La gauche (plus exactement le PS) gagnera les législatives grâce à un retour de balancier et à la mobilisation de ses forces effrayées, à condition qu'elle ne fasse pas l'erreur de se déchirer de façon visible. 
- Après le départ de Lionel Jospin vers une retraite méritée, MM. Fabius, Strauss-Kahn et Hollande vont se disputer le poste de premier ministre. 
- La cohabitation se poursuivra. Ce régime plaît aux Français en raison même de son inefficacité car il affaiblit l'État, ce mal aimé. 
- Jacques Chirac pourrait se transformer en homme d'État : cela étonnerait tout le monde et ce serait bien le meilleur tour qu'il puisse nous jouer. Sinon, il n'est pas certain qu'il puisse terminer son quinquennat
- L'extrême droite, requinquée, se fera agressive mais restera minoritaire. Il y a toujours eu en France des gens d'extrême droite mais la France n'est pas d'extrême droite. Il ne faut pas confondre la mauvaise humeur qui vient de s'exprimer avec une nouvelle orientation politique.

L'échec de Jospin fait apparaître les limites d'une politique laborieuse, gestionnaire, procédant par construction méthodique d'une image, comme si la politique relevait de l'image. 

Je n’aurais pas voté pour Berlusconi si j’étais italien mais il faut lui reconnaître le don de la communication. Il s'est présenté comme l’incarnation du « rêve italien » : « Créer une entreprise et être son propre maître », voilà ce que désire en effet la classe moyenne italienne. Or nous ne savons comment définir le « rêve français », dire ce que nous voulons être tous ensemble et chacun pour son propre compte. La France est effarée, privée de repères, de « rêve » et de « sens ». Les Français, qui n’ont jamais dans leur histoire connu un tel bien-être économique ni une paix aussi longue, seraient-ils devenus séniles avec leur obsession de la sécurité ?

Comment prétendre intégrer les immigrés si nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous voulons être ? 
- Alain Minc dit qu'à l'échelle du monde la France est un canton, exemple typique des images stupides que nous cultivons. Qui peut vouloir s'intégrer a un pays qui aurait de lui-même l'image d'un "canton" ? 
- Certains disent que ce qui compte désormais, c'est l'Europe et la mondialisation. Comment ces personnes pourraient-elles définir une politique, une ambition pour la France, si elles estiment que désormais la France ne compte plus ? 
- D'autres enfin cultivent une nostalgie irraisonnée pour des images sans passé ni futur : un pays rural paisible autour de ses clochers ; une République disposant d’élus, fonctionnaires et ingénieurs honnêtes, dévoués, efficaces. Que penser d'un pays qui, au lieu de se donner un but servant de repère collectif, s'identifie à un passé mythique ? 

Qu'avons-nous de spécifique à cultiver, nous Français ? attendons-nous que des étrangers amoureux de la France et que notre désarroi désole nous indiquent notre rôle ? Christian Blanc dit que nous sommes "le plus méridional des pays du nord et le plus nordique des pays du sud". La France est une petite Europe et même un petit monde, avec les composantes celte, grecque, latine, germanique, sémite, et plus récemment slave, africaine et asiatique de sa culture. La maturité politique héritée de notre histoire (maturité qui, certes, connaît des éclipses) peut contribuer à la construction d'une Europe non pas platement bureaucratique, mais authentiquement démocratique. Le "rêve français" doit se fonder sur les valeurs que notre pays peut apporter à l'Europe et, avec elle, au monde. 

Le monde est en effet à un carrefour : des constellations de valeurs opposées sollicitent son adhésion. Il est en mesure de construire une civilisation - pour la première fois, l'humanité peut se libérer de la pénurie - ou d'élaborer une barbarie. Quelle contribution pouvons-nous apporter à ce choix, nous autres Français ? 

Nous devons d'une part énoncer les valeurs qui nous guident, d'autre part prendre des dispositions pratiques. Voici celles qui me viennent à l'esprit (liste modeste et non limitative) :
- Le référendum européen sur l'effet de serre que propose Jean-Marc Jancovici serait une étape pour la politique économique : celle-ci serait transformée par la prise en compte de l'évolution du climat.
- La mise en oeuvre de l'évaluation serait une étape pour les méthodes de gouvernement : elle permettrait plus de démocratie.
- L'égalisation des protections sociales dont bénéficie un élu selon qu'il est fonctionnaire ou non modifierait la composition sociologique de la classe politique.  

Lecture recommandée :

Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, deux volumes, Payot 1994