« Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois »
(André Chénier, Ïambes)
« Les lâches cruautés qu’il nomme châtiments »
(André Chénier, Idylles)
Le mot « torture » éveille
en nous de
pénibles souvenirs. La torture infligée aux résistants par la Gestapo et la
milice nous semblait le comble de la barbarie, puis nos militaires l’ont eux
aussi utilisée pendant la guerre d’Algérie. J'ai lu La question d’Henri Alleg, récit sobre et digne. J'ai admiré les officiers qui, comme
Paris de Bollardière,
ont protesté contre l'usage de la torture.
En la légalisant, George W.
Bush donne la victoire à Oussama Ben Laden et inflige à son pays une blessure
plus profonde que celle du 11 septembre 2001.
Le but du terroriste n’est pas
tant en effet de tuer que de démoraliser l’ennemi, de susciter chez lui de ces
réactions démesurées qui, comme une allergie, seront plus pernicieuses que
l’attentat lui-même, de le « pourrir » en l’incitant à dévoyer ses institutions,
à nier ses propres valeurs, à devenir enfin aussi barbare que le terroriste
lui-même.
Bush considère cette loi comme
la plus importante de toutes celles qu’il a contresignées : cela montre que l’échelle
de ses valeurs est posée à l’envers. Il est plus dommageable en effet, pour un
pays, de perdre son âme que de perdre des vies humaines. Et comment peut-on
prétendre que l’on se bat pour la liberté quand on s’ingénie à faire souffrir des
prisonniers ?
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Il ne manque pas, en France,
d’ivrognes qui entre le douzième et le treizième pastis expriment le désir de
« tirer dans le tas », ni de personnes dont la conscience fléchit devant le
sophisme « que ferais-tu si tu détenais quelqu’un qui sait où se trouve la bombe
qui tuera des innocents ? ».
Mais légaliser la
torture, cela va plus loin. Les militaires américains y étaient
opposés : l’expérience leur a appris que la torture ne sert à rien, sinon à se
défouler en satisfaisant des pulsions perverses. Ils disent même qu’elle est
contre-productive au plan de l’efficacité (voir
Torture et liberté).
Bush prétend que ceux qui sont
contre cette loi manquent de fermeté dans la lutte contre le terrorisme (mais on
sait bien que l'exhibition de l'énergie est un signe de faiblesse). Il en
tire un argument électoral. J’espère que les Américains n'en seront pas dupes.
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