Sur certains sujets sensibles
(le sort des femmes, l’antisémitisme) circulent des données fausses que l’on
hésite à rectifier par crainte de susciter une réaction exaspérée.
Les meurtres de femmes
Une amie m’a écrit :
« En France, la principale cause de décès des femmes est le meurtre commis par
leur compagnon ».
La durée moyenne de vie des
femmes en France est de 83 ans, sept ans de plus que les hommes.
En général l’homme est plus âgé que sa compagne. Il faudrait, pour
l’assassiner, qu’il sortît de son cercueil environ dix ans après sa mort ! La
principale cause de décès des femmes, ce n'est pas donc le meurtre mais la
vieillesse et les maladies qui l'accompagnent.
Mon amie a répondu « J'avoue
une imprécision fautive : la principale cause de mort violente des femmes
est le meurtre commis par leur compagnon. »
Pour 100 000 habitants, on a
dénombré en 2000 en France 31 morts violentes, soit 8 % des décès : 17,5
suicides, 12,9 accidents, 0,7 homicides.
Les femmes se suicident deux fois moins que les hommes. La principale cause de
mort violente des femmes, ce n'est pas le meurtre, ce sont les accidents.
Si l’on considère enfin les seuls
homicides, dans la plupart des cas les hommes sont assassinés par des personnes
avec qui ils sont en affaire alors que les meurtres de femmes sont commis le
plus souvent en famille.
Cela ne représente ni la majorité des morts, ni même celle
des morts violentes. La phrase exacte est donc sans doute « la majorité des
meurtres
dont les femmes sont victimes sont commis par leur compagnon ».
Il faut
préciser que les meurtres sont rares en France : l'INSERM a dénombré 419
homicides en 1999, dont 164 meurtres de femmes (http://sc8.vesinet.inserm.fr:1
080).
Cette même année, 2 163 femmes ont péri dans des accidents de la circulation.
J’ai vu à la télévision
un homme politique s’exclamer : « La principale cause de décès des
femmes est le meurtre commis par leur compagnon, il faut faire quelque chose ! »
Et toute l’assistance de communier dans la même indignation émue, à défaut
d’exactitude...
L’antisémitisme
On trouve sur le site du
Conseil Représentatif des Institutions juives de France (www.crif.org)
la liste des actes antisémites en France. Si l’agression physique est évidemment
grave, les insultes que profère un déséquilibré ne méritent pas la même
attention. Le décompte additionne tout.
Du 1er janvier au 20
juillet 2004 le CRIF a dénombré 281 actes antisémites (dont 71 agressions
physiques), soit 1,4 par jour en moyenne
(dont 0,3 agressions). Certains, sans doute, ne sont pas déclarés. La répartition est la suivante :
Le site du CRIF donne des
indications sur chaque acte. Beaucoup sont des manifestations d’« incivilité » ou
sont le fait de détraqués dont certains cherchent la notoriété médiatique qu'on leur accorde
trop facilement. Parmi les coupables d'agressions ou de profanations on trouve, outre ceux dont on
relève le « physique maghrébin », de ces skinheads qui prétendent défendre une « culture
occidentale » dont ils n'ont pas la moindre notion.
Tout acte antisémite, tout acte
raciste est un acte de trop ; je n'entends ici ni les relativiser, ni minimiser
leur gravité. Mais il y a loin entre les données du CRIF et ce que j'ai lu dans
ce journal américain qui parlait de « douze agressions antisémites
par jour en France ». Qui a donc intérêt à dénigrer de la sorte notre
pays, et dans quel but ?
Durant à peu près la même
période, du 1er janvier au 1er
juillet 2004, le terrorisme a tué en Israël 61 personnes et il en a blessé
195 (source :
Ministère israélien des affaires étrangères). Il serait ridicule d'en
conclure qu'Israël est antisémite.
Certains, transposant le
discours d'avant-guerre sur la France « enjuivée », prétendent que la France est
devenue « un pays arabe ». Comparons : les arabes israéliens représentent 16 %
de la population d'Israël alors que les Français de culture musulmane
représentent 7 % de la population française. Mais personne ne prétendra, ce me
semble, qu'Israël est un pays arabe.
* *
L'antisémitisme a eu
sa place dans l'histoire de notre pays. A la charnière des XIXe
et XXe siècles l’antisémitisme fut en France le fait de ceux,
nombreux, qui
refusaient la République – et, avec elle, l’émancipation des juifs en 1791 – au
nom d’une idéologie nationaliste fondée sur le sol et sur le sang. L’affaire Dreyfus
se situe dans la continuité du boulangisme. L'antisémitisme était alors répandu
dans le clergé, l’armée, la noblesse, la bourgeoisie, bref dans les « bons
milieux », comme dans les milieux populaires de tendance réactionnaire. La
législation antisémite de Vichy ne fut pas imposée par l’occupant mais voulue
par cette fraction de la population, dont l'accès au pouvoir à l'occasion de la défaite
avait été pour Charles Maurras
une « divine surprise »
(voir Zeev Sternhell, La France entre nationalisme
et fascisme, trois volumes, Fayard 2000, et aussi
A propos de l’extrême droite).
D'autres pays que le nôtre ont
été antisémites : l'Allemagne nazie bien sûr, la Russie des tsars puis des
soviets, mais aussi les Etats-Unis où les universités avaient imposé un quota pour
limiter le nombre des étudiants juifs,
ce que n'ont jamais fait les universités françaises (mise à part bien sûr la
période de l'occupation allemande).
Depuis les choses ont évolué,
dans ces pays-là comme en France. On ne voit plus chez nous de ces Messieurs qui
aimaient à casser les vitrines des commerçants juifs à coup de canne. Ceux qui
accusent la France, ou l’Europe, de préparer aujourd'hui la « solution
finale » du « problème juif » poursuivent, sous le masque de l’indignation
vertueuse, un objectif géopolitique qu’ils se gardent d’expliciter.
* *
Les inégalités, discriminations
et mauvais traitements dont les femmes sont victimes sont intolérables. De même,
l'acte antisémite nous révolte autant que tout autre acte raciste. Le raciste
veut nous couper de l'humanité. L'antisémite cherche, en outre, à mutiler notre
identité : les cultures d'origine chrétienne et
musulmane s'enracinent en effet dans le judaïsme (voir
A propos de l’antisémitisme).
Je suppose que quelques-unes
des phrases que contient cette fiche auront choqué certaines personnes, tant est
grand le prestige de la « Political Correctness ». Nous
avons pris la mauvaise habitude de préférer l'émotion à l'exactitude. Mais pour pouvoir lutter
efficacement contre les pervers, ne faut-il pas d’abord être exact ?
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