La professionnalisation
de la maîtrise d’ouvrage, voie de l’efficacité pour l’entreprise
19 octobre 2002
Le système d’information,
autrefois spécialisé dans quelques fonctions administratives, est désormais
présent dans toutes les parties de l’entreprise (en anglais « pervasive ») un peu comme le réseau circulatoire ou
le réseau nerveux d'un corps humain.
Les « concepteurs »
de l’entreprise, ces personnes de la direction générale qui assurent la mise
en œuvre de la stratégie, le repositionnement sur de nouveaux marchés,
l’application de réglementations nouvelles, doivent en tenir compte : la
conception du système d’information fait partie de leurs responsabilités.
Ils sont, pour une part, « maître d’ouvrage »
(délégué
ou opérationnel) du système d’information.
Que fait un « concepteur » ?
il définit le travail que devront faire les opérationnels, il rédige
les notes techniques et instructions qui leur sont destinées ainsi qu’à leur
encadrement ; il retravaille l’organisation de l’entreprise en
modifiant les contours des entités qui la composent, leurs missions, leurs
moyens, leurs responsabilités, les indicateurs selon lesquels elles sont évaluées.
Enfin, il définit les fonctionnalités du système d’information, il le
« modélise ».
Origines de la
professionnalisation
La modélisation du SI est pour
les métiers de l'entreprise une tâche
relativement nouvelle ; certes, les entreprises ont déjà un système
d’information (de qualité variable), mais
jusqu'à ces dernières années on ne demandait pas à la maîtrise d’ouvrage de le modéliser.
Elle émettait des expressions de besoin souvent vagues et il était demandé à
l’informatique de les reformuler de façon assez précise pour qu'il
soit possible de passer à la réalisation. Parfois la maîtrise d’ouvrage ne se
reconnaissait pas dans cette reformulation, d’où discussions, conflits et délais ;
il arrivait aussi que la maîtrise d'ouvrage changeât d’avis et modifiât sa demande, d’où pour
l’informatique obligation de reprendre le travail et bien sûr là encore
discussions, conflits et délais.
Ce partage
des tâches ayant provoqué l’échec de nombreux projets, on a entrepris de
professionnaliser les maîtrises d’ouvrage, c'est-à-dire de les doter des compétences,
ressources et méthodes qui leur permettent de maîtriser intellectuellement et
pratiquement leur système d’information : la modélisation, quand elle
est bien faite, favorise l’« alignement
stratégique du système d’information » tout en rendant plus
claire, plus souple et surtout plus raisonnable la relation entre maîtrise
d’ouvrage et maîtrise d’œuvre informatique.
Démarche du concepteur
Quand un concepteur assure son
rôle de maître d’ouvrage opérationnel,
il doit suivre la démarche suivante avant le lancement d’un projet nouveau :
-
rédiger une expression de besoin en
langage naturel : elle doit consacrer l’accord ou le compromis passé
entre les directions de l’entreprise, refléter une compréhension partagée
de ce que l’on entend faire, et rester la référence pendant toute la réalisation
du projet ;
-
réaliser l’« étude préalable » qui fournira les éléments
nécessaires à la décision de lancement. On range classiquement ces éléments
en trois rubriques :
opportunité, faisabilité et risques. L’étude préalable est
ainsi parfois nommée « étude OFR ».
Une fois le projet lancé,
d’autres étapes s’enchaînent (modélisation proprement dite, suivi de projet, recette, déploiement
etc.), mais elles ne sont pas notre objet dans la présente fiche.
Pour une part, la
professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage réside dans la maîtrise des méthodes
à employer pour établir ces deux documents, dans la clarté d’esprit qui préside
aux consultations, expertises, travaux d’écriture nécessaires, puis dans la
qualité de leur
présentation aux dirigeants qui auront à les valider et devront se les
approprier.
Effets de la
professionnalisation
On découvre souvent, lorsque l'on met en place ces méthodes,
que le travail des concepteurs présentait des défauts dont on ne s’était pas
avisé :
1)
Les difficultés de la rédaction de l’expression de besoin montrent
que l’on ne se souciait pas, auparavant, de préciser les périmètres
de responsabilité et les prérogatives des acteurs concernés par un
projet : ces questions finissaient certes par se régler, mais à la
longue et à chaud (donc souvent assez mal), alors qu’il est plus efficace de les traiter à froid, de
façon préventive.
2)
Les réunions se tenaient souvent sans ordre du jour, sans compte rendu,
sans enregistrement des décisions ni suivi de leur exécution : ceci n’est
plus tolérable quand il faut gérer la lourde logistique des consultations et
validations.
3)
Les écrits entrelaçaient souvent, dans un même
paragraphe, des considérations relatives à l’opportunité, à la faisabilité
et aux risques : « il serait souhaitable de faire ceci, on pourrait
le faire de
telle façon, mais on risque de rencontrer tel problème etc. ». Le plan de
l’étude préalable exige que l’on traite séparément ces aspects du projet,
ce qui facilite sa discussion.
4)
L’évaluation de l’opportunité (donc du profit apporté par le
projet) est l’affaire de la maîtrise d’ouvrage, l’évaluation de la
faisabilité technique (donc du coût du projet) est une contribution de la
maîtrise d’œuvre ; si l’étude préalable relève entièrement de la
responsabilité de la maîtrise d’ouvrage, sa réalisation permet aux deux
parties de se comprendre avant de lancer la réalisation.
Ces méthodes contraignant la
maîtrise d’ouvrage a réfléchir davantage, son investissement intellectuel
est plus précoce ; l’expérience montre que les projets
sont ainsi mieux conçus et il peut arriver que sur la durée l’effort total de la
maîtrise d’ouvrage en soit diminué. La clarté acquise par le projet, le caractère
équilibré des relations avec la maîtrise d’œuvre informatique sont des « plus »
que l'entreprise apprécie.
Le sérieux nouveau apporté à
conception du système d’information conduit à anticiper - et sans doute à
améliorer - les autres travaux des concepteurs : une étude préalable bien
faite comporte une première description, certes à grosses mailles, du travail
des personnes et de l’organisation de l’entreprise.
Bilan de la
professionnalisation
La professionnalisation de la
maîtrise d’ouvrage a un coût : il faut former les concepteurs à une méthode
qu’ils devront savoir mettre en œuvre sans formalisme superflu. Pour le premier
projet ainsi traité, ils fourniront un double effort : il leur faut acquérir la méthode,
puis l’appliquer.
Il peut arriver aussi que
certains informaticiens, même s'ils s’étaient plaints de l’amateurisme
de la maîtrise d’ouvrage, s’inquiètent d’une évolution qui les « dépossède »
d’une partie des tâches qu’ils faisaient auparavant. L’expérience montre
que cette inquiétude s’estompe avec le temps, mais ses manifestations
contribuent aux difficultés de la transition.
L’effort de réflexion que
font les concepteurs pour définir le système d’information est bénéfique
pour l’ensemble de leur activité : ils deviennent plus précis, ils réfléchissent
davantage et de façon plus précoce sur les questions d’organisation et sur
le travail des personnes. Il peut arriver que le changement d’ambiance et de
tonalité qui en résulte déconcerte les personnes qui encadrent ces
concepteurs, les maîtres d’ouvrage stratégiques,
auxquels il sera demandé de prendre des décisions plus explicites.
Les services où se pratique
l’activisme velléitaire, forme de travail brouillonne, épuisante et
peu productive qui submerge les opérationnels d’instructions et de notes techniques rarement
applicables, sont bousculés par la professionnalisation
de la maîtrise d’ouvrage : ils lui seront donc souvent hostiles.
Tout professionnel sérieux
ressent la satisfaction que procure un travail clairement défini et
correctement exécuté : la professionnalisation des maîtrises d’ouvrage
finira donc par s’imposer, sauf dans les entreprises
malades. Mais l’itinéraire comporte des obstacles qu’il faut
percevoir, évaluer et contourner.
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