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Commentaire sur :
"Le Système Statistique Européen" d'Yves Franchet

2 mai 2004


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volle.com a déjà évoqué l’« affaire Eurostat ». Il se fait un honneur de publier le témoignage d’Yves Franchet, directeur général d’Eurostat de 1987 à 2003.

Ce grand professionnel, unanimement respecté par ses pairs pour sa compétence et son efficacité, a été pris dans un engrenage politico-médiatique qui aurait pu le broyer. Mais aucune plainte ne lui échappe, aucun commentaire sur la lâcheté des politiques qui l’ont sacrifié aux médias ni sur la pusillanimité d’une profession qui, par crainte de sembler corporatiste, s’est abstenue de le soutenir publiquement. Seule compte pour lui l’œuvre accomplie et qui risque maintenant d’être détruite. Il propose des solutions pour que le pire soit évité, pour que la statistique européenne soit préservée. C’est une leçon de dignité et de civisme.

La véritable « affaire Eurostat » ne réside pas en effet dans des anomalies de gestion anciennes auxquelles il avait été porté remède, et qu’explique le fait que la Commission ait refusé à Eurostat le personnel qualifié qui lui était nécessaire : elle réside dans le coup porté à l’Europe à travers la statistique européenne.

L’Europe ne peut pas fonctionner sans statistique : en détruisant l’organisation qui produit la statistique, on sape ses fondements. Certains le savent : c’est pour cela qu’ils ont tiré sur Eurostat. D’autres l’ignorent : c’est pour cela qu’ils n’ont pas défendu Eurostat.

*  *

Nombreux sont, il est vrai, ceux qui méconnaissent l’apport de la statistique au fonctionnement d’une société. Les raisons de cette ignorance sont philosophiques, politiques et culturelles.

Toute observation suppose que l’on choisisse une grille conceptuelle. Les conventions qui fondent cette grille n’empêchent nullement l’observation d’être authentique, pertinente et donc utilisable dans l’action ; mais il y a là, pour ceux qui exigent d’une observation qu'elle soit réaliste (ce qui est en toute rigueur impossible), une contradiction qui fait peser sur la statistique un soupçon radical. Les statisticiens eux-mêmes, engoncés dans la bureaucratie qui structure leur pratique professionnelle, sont parfois travaillés par cette angoisse métaphysique. Elle les empêche d’exiger pour leur métier le respect qu’il mérite, et de manifester leur solidarité avec celui d’entre eux que le politique a trahi.

Le politique n’est pas avare de paroles grandiloquentes quand il s’agit de célébrer l’importance stratégique de la statistique, mais il ne la comprend pas mieux que le dirigeant d’entreprise ne comprend son système d’information. Il a du mal à concevoir le rôle fondamental des nomenclatures, les contraintes de la coordination, les procédés par lesquels s’élabore la pertinence des concepts et conventions. S'il doit arbitrer entre ces exigences et sa propre tranquillité, la balance penche presque toujours en faveur de celle-ci. Ajoutons que la clarté que la statistique projette sur les enjeux de société ne sera pas toujours pour lui la bienvenue, même s’il prétend être un démocrate.

Ces doutes philosophiques, ces ambiguïtés politiques, expliquent que l’ignorance en statistique, le mépris envers la statistique soient si répandus dans la population et les médias. Le « chiffre », que ces derniers utilisent à tort et à travers, fera l’objet d’une critique non pas scientifique, mais dénigrante et sottement ironique. Lorsque les fondations statistiques de l’Europe seront attaquées, aucun média ne saura donc dire que l’Europe elle-même est mise en danger.

C’est pourquoi, parmi les deux scénarios extrêmes qu’Yves Franchet propose, le plus pessimiste semble aussi le plus vraisemblable. Il est vraisemblable que la Commission laissera couler Eurostat pour le renflouer à grands frais et grands efforts, après quelques années, lorsque les conséquences pratiques de cette erreur se seront clairement manifestées.

Si la mission stratégique du politique est d’anticiper les crises systémiques et de disposer l’appareil institutionnel de telle sorte qu'elles puissent être traitées raisonnablement, ici le politique aura trahi sa mission. Une institution cruciale aura été démantelée, la construction de notre Europe aura été compromise. On ne peut s’empêcher de penser que c’était là le but de ceux qui se sont drapés dans une vertu postiche pour crier au « scandale Eurostat ». Cherchez à qui profite le crime.