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Le côté de la finance

22 décembre 2004


Liens utiles

- Qu’est-ce qu’une entreprise ?
- Nouvelle économie et Finance
- A propos de la baisse du dollar
- A la recherche de la stratégie

Certains disent que l'essentiel de l'entreprise réside dans la finance. Cette niaiserie les classe tout à côté des personnes qui disent que le peintre doit « peindre de beaux tableaux » et l'écrivain « écrire des romans intéressants » : ces phrases-là font se hausser les épaules du professionnel qui sait devoir se concentrer non sur le résultat final mais sur ses conditions d'émergence, diablement complexes.

*  *

Quelle est la place de la finance dans les préoccupations du stratège ? Qu’attend-il du directeur financier ?
1) D’abord, que celui-ci gère la trésorerie de l’entreprise, ses créances et sa dette : il doit placer les liquidités, couvrir les risques (change, contrepartie, fluctuation du cours des matières premières), minimiser le coût de l’endettement et le poids de la fiscalité, toutes opérations hautement techniques.
2) Ensuite, qu’il conforte la crédibilité de l’entreprise, son aptitude à obtenir du crédit. L’entreprise est en effet structurellement endettée auprès des actionnaires, des banques et des fournisseurs. Si les créanciers exigent un remboursement immédiat (ou s’ils refusent de renouveler les prêts) elle risque d'être mise en faillite. Elle doit donc entretenir la confiance de ceux que l’on appelle, par abus de langage, « les marchés ».

Certes ces missions sont importantes, mais pas au point que l’on puisse y réduire l’entreprise : l’arbitrage entre les projets que les concepteurs produisent sans cesse, le maintien de la fonction de production à l'état de l'art, l'utilisation opportune des techniques nouvelles supposent des connaissances et une réflexion qui ne relèvent pas de la finance.

La crédibilité financière de l’entreprise ne se construit d'ailleurs ni uniquement, ni même principalement sur les paramètres financiers. Les créanciers, pour savoir s'ils peuvent lui faire confiance, examinent la qualité de ses produits, la solidité de sa part de marché, sa réactivité face aux évolutions techniques ou réglementaires, sa capacité à s'emparer d'un avantage concurrentiel en innovant. 

Il est assez naturel qu'un dirigeant, s'il a été coopté parce qu'il émettait l'image convenable, voie dans l'image de l'entreprise le facteur principal de la crédibilité. Il accordera tous ses soins à la communication, à la présentation du bilan, fût-ce en sacrifiant des actifs précieux pour l'avenir afin de faire apparaître un résultat séduisant mais fugace. Il se détournera des conditions pratiques de son fonctionnement, de son évolution, pour monter de ces acquisitions qui accaparent l'attention des journalistes et des actionnaires. L'image de l'entreprise, détachée de son socle économique, devient alors un artefact médiatique qui peut monter très haut avant que les actionnaires, apercevant du vide sous le cours de l'action, ne soient pris de vertige.

*  *

En paraphrasant Pascal [1], on peut écrire que « la vraie finance se moque de la finance » : la santé financière de l’entreprise résulte d’une stratégie qui agit, en priorité, sur autre chose que la finance. Le stratège est comme le jardinier qui, plutôt que de tirer sur les plantes, bine le sol, le fume, l’irrigue et le sarcle.

Dans les années 90, plusieurs très grandes entreprises sont mortes ou ont failli mourir parce que leurs dirigeants avaient donné la priorité à la finance et à la communication ; plutôt que de créer de la richesse, de l’utilité pour les consommateurs, ils entendaient créer de la valeur, faire monter le cours de l’action. Or le marché boursier, volatil par nature, connaît des oscillations sans rapport avec la santé de l’entreprise : le prendre pour boussole est suicidaire.

On pouvait espérer qu’après les désastres des années 90 (France Telecom, Vivendi, Crédit Lyonnais etc.), provoqués par des mondains jouant au dirigeant, nous reviendrions à une conception raisonnable de l’entreprise. Hélas ! On entend encore des journalistes, des économistes, des professeurs répéter les mêmes âneries sur la priorité financière de la stratégie. Les étudiants, nourris de ces viandes creuses, en redemandent : dépourvus d'expérience pratique, prisonniers de la médiatisation de la société, ils confondent volontiers l'image et la réalité.

La stratégie retrouvée


[1] « La vraie morale se moque de la morale » (Blaise Pascal (1623-1662), Pensées, 24)