A propos de l’indice des prix

18 décembre 2006

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Ségolène Royal ayant dénigré l’indice des prix à la consommation, Nicolas Sarkozy s’est empressé de lui emboîter le pas, suivi de près par Dominique de Villepin. Il faut réformer cet indice, disent-ils, parce qu’il ne reflète pas le « sentiment populaire » selon lequel les prix montent vite. Royal estime qu’il faudrait le soumettre au jugement d’un « jury citoyen ».

Ainsi ces personnes, lancées dans la chasse aux voix, rivalisent en démagogie.

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L’indice des prix est fondé sur des relevés de terrain pondérés par la part des produits dans la consommation. Il a été critiqué dans le passé : d’autres organismes (notamment la CGT) ont tenté de produire leur propre indice. Mais les résultats qu’ils ont obtenus n’étaient pas significativement différents de ceux de l’INSEE.

C’est qu’il ne faut pas confondre l’indice avec l’évolution que peuvent ressentir les plus pauvres. Le problème réside en effet non dans l’indice des prix mais dans l’accroissement de la dispersion des revenus : certains deviennent de plus en plus pauvres alors que le revenu moyen croît. La statistique constate cette évolution-là mais, étrangement, les médias n’en parlent guère.

S’en prendre à l’indice, par contre, cela vous fait passer pour quelqu’un qui s’y connaît. Certains se rengorgent en disant qu’une moyenne, cela ne veut rien dire : ils croient exprimer ainsi une philosophie profonde. D’autres s’étonnent que la pondération des loyers dans l’indice ne soit que de 7 % alors que le loyer pompe le tiers du revenu de quelqu’un qu’ils connaissent : ils ignorent que les locataires du secteur libre, qui supportent les loyers les plus élevés, ne sont que 20 % parmi les ménages et que les propriétaires (56 % des ménages) ne paient pas de loyer.

Il est vrai que d’un ménage à l’autre le poids des divers postes de dépense peut beaucoup varier. L'INSEE calcule d'ailleurs des indices pour diverses catégories de ménages, et rien ne vous empêche de calculer votre propre indice selon des pondérations spécifiques puisque les séries de prix détaillées sont publiées : il suffit d’aller y voir et d’utiliser un tableur.

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Derrière cette affaire s’en cache une autre, plus fondamentale : l’importance que l’on accorde au « sentiment », qu’il soit « populaire » ou non, par rapport à l’examen des faits. L’éducation scientifique et artistique forme à se défier des sentiments : l’un des apports les plus précieux des mathématiques, c’est de nous confronter à nos erreurs de raisonnement ; la musique nous confronte à nos erreurs d’interprétation. Ce sont là de rudes formations à l’exactitude.

Mais certains préfèrent suivrent leur « intuition » plutôt que de se confronter aux faits. Ils disent – cela passe pour une autre idée profonde – que les faits, étant « construits », ne signifient rien, et s’en autorisent pour affirmer leurs caprices : « je ne vois pas les choses comme ça », « chacun est libre d’avoir son opinion », etc. Mais ce qui est « construit », c'est l'instrument d'observation et non les faits qu'il permet de percevoir. La Terre est à peu près sphérique, la bataille de Waterloo a eu lieu le 18 juin 1815, personne n’est libre d’y rien changer : le constat d’un fait n’est pas une affaire d’opinion. Ces personnes ne perçoivent pas la différence entre un instrument d'observation, un fait, et l'interprétation d'un fait (voir Le métier de statisticien).

Le fait est que si l’on envoie des enquêteurs collecter des prix et si l’on pondère ces prix par le poids des produits dans la consommation on trouvera, à condition de travailler beaucoup et soigneusement, un résultat semblable à l’indice INSEE : un « jury populaire », idée loufoque, n’y changerait rien.

Mais si l’on veut interpréter l’indice, on doit se mettre au travail : il faut décliner l’évolution moyenne des prix, qu’il retrace de façon authentique, selon la situation particulière à chaque segment de la population et en tenant compte des autres affectations du revenu (remboursement d’emprunts, impôts etc.). On entre là dans l’étude du budget des ménages, que les statisticiens examinent à la loupe. On devrait lire leurs travaux mais il est tellement plus facile, tellement plus rentable en termes d’image, de s’attaquer à l’indice des prix !

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Ceux qui n’aiment pas la statistique disent que « l’essentiel n’est pas dans les nombres, car ils sont menteurs et cachent les vérités les plus profondes ». Il faut leur accorder que ce qui nous importe le plus ne se mesure pas : l’être que j’aime, m’aime-t-il en retour ? mon action a-t-elle un sens ? suis-je, lorsque je m’exprime, capable de me faire comprendre ? ces questions-là sont de celles qui nous tracassent le plus, et la réponse qu’on peut leur apporter n’est pas quantitative mais qualitative : elle s’exprime par oui ou non.

Mais si les procédés de la statistique sont quantitatifs, son but est de parvenir in fine à des conclusions qualitatives exactes. Les observations, les évaluations, les calculs, les tableaux de nombres, visent à former une intuition plus précise, un discernement plus judicieux, une décision plus pertinente enfin qui s’exprimera sous la forme d’un oui ou d’un non : j’investis ou je n’investis pas ; je m’engage dans telle profession ou je ne m’y engage pas etc.

Ceux qui polémiquent contre l’observation des faits au nom du « sentiment » s’enferment dans la prison de leurs caprices. Le fait est que les Français, considérés dans leur ensemble et en moyenne, ne savent pas utiliser la statistique parce qu’ils s’en défient. Privés du sens des proportions, ils tombent dans les pièges les plus grossiers (voir Statistique et "political correctness") et courent le risque d’être dupes des démagogues.

Pour lire un peu plus :
- Le métier de statisticien
-
Statistique et civisme
- Statistique et "political correctness"
-
Statistique et manipulation
- A propos des indices
- Indices de prix et de volume
- L'indice des prix
- Une histoire de la comptabilité nationale

www.volle.com/statistiques/indiceprix.htm
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