L’État nous apparaît souvent comme un
monstre froid, une machine insensible à l’humanité et mue par des agents dont le
sérieux a pour seul ressort l’ambition de faire carrière. Le contrôle de cette
machine est l’un des enjeux de la lutte pour l’accès au pouvoir.
Mais toute machine, avant d’exister et de
fonctionner, a dû être conçue en réponse à une intention : la description
objective, réaliste, de son fonctionnement et de ses effets ignore la mission
qu’ont voulu promouvoir ses inventeurs. Elle reste incompréhensible car elle ne
rend pas compte de ce que serait le monde si cette machine n’existait pas.
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L’épisode de la Fronde montre les Français
sans État et livrés à leurs impulsions.
Les grands seigneurs (Gaston d’Orléans,
frère du Roi ; Condé, prince du sang ; Turenne, frère du duc de Bouillon),
nourrissant des ambitions dynastiques, complotent contre le Roi, lèvent des
troupes de mercenaires, pactisent avec les ennemis de la France (l’Autriche,
l’Espagne) et prennent la tête de leurs armées. Les parlementaires, magistrats
dont la charge est devenue héréditaire, ambitionnent de gouverner mais
s’empêtrent dans le formalisme juridique. Tous ces intrigants manipulent le
peuple dont la violence, une fois débridée, échappe à leur contrôle. Les
campagnes sont dévastées par les armées qui les traversent, ruinées par les
impôts qu’il faut lever pour faire la guerre.
Mazarin s’appuie tantôt sur l’un, tantôt sur
l’autre, pour asseoir la puissance de l’État – c’est-à-dire du Roi – et pacifier
la société. Sans lui, le travail amorcé par Richelieu n’aurait pas été accompli.
Quand il meurt en 1661 les pays ennemis ont été vaincus, mais comme ils les a
laissé sauver la face ils ne nourriront pas un désir de revanche. Les grands
seigneurs, domptés, sont réduits à mendier auprès du Roi faveurs et subsides.
L’Église est cantonnée au spirituel – domaine il est vrai immense. Le Parlement
est muselé.
Mazarin a été méprisé, ridiculisé, détesté
par les Français. Il parlait avec l’accent italien ; dans cette société
violente, il était poli et patient ; il préférait le compromis au conflit. Tout
cela heurtait les valeurs d’une nation dont les mœurs étaient encore celles de
la féodalité.
Mazarin s’est énormément enrichi mais sa
fortune est, comme le sera au XIXe siècle celle de Talleyrand, une des armes de
sa politique : il achète l’ennemi plutôt que de le combattre. À sa mort il la
lègue au Roi : ainsi elle retournera à l’État.
Simone Bertière fait ressortir ce
qui a continûment orienté l’action de Mazarin – la fidélité au Roi,
l’édification de l’État, la pacification de la société – et l’extrême diversité
des situations dans lesquelles il s’est trouvé. Le mécanisme de chaque intrigue
est démonté, les enjeux des protagonistes sont élucidés. La simplicité, la
clarté de la langue contrastent avec la complexité des objets qu’elle évoque :
c’est un vrai tour de force. |