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La « bulle militaire »

16 avril 2003


Liens utiles

- La grande provocation
- La stratégie négationniste
- Perplexités militaires

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Qui est antiaméricain ?

Vous rappelez vous la « bulle Internet » ? Ceux qui estimaient la Bourse surévaluée, qui trouvaient dispendieuses les acquisitions des grands groupes, qui jugeaient trop médiatiques les dirigeants des grandes entreprises, passaient pour des timorés ou des ringards.

Le succès de la campagne militaire en Irak suscite une « bulle militaire ». On croit la guerre gagnée. On oublie qu'elle n’est, comme le disait Clausewitz (1780-1831), « rien d'autre que la prolongation de la politique par d'autres moyens [1] ». Une guerre gagnée sur le champ de bataille, mais perdue sur le champ politique, est une guerre perdue tout court.

A la fin de la guerre d’Algérie, les militaires français disaient « au plan militaire, nous avions gagné ». Sans doute, mais la guerre avait été perdue « au plan politique » et donc complètement perdue. « Au plan politique », les Américains ont perdu la guerre du Vietnam, la Russie a perdu en Afghanistan. Après qu’une technique supérieure du combat leur eût permis de gagner plusieurs batailles, Charles XII, Napoléon Ier et Hitler sont allés au désastre. 

S’il ne faut pas répudier par principe l’usage de la force il faut, pour vaincre, d'abord respecter l’adversaire : une guerre menée sans souci de connaître ni de comprendre l'ennemi ira, de « victoire » en « victoire », vers l'échec inéluctable. Le meilleur général, dit Sunzi, est celui qui sait vaincre sans livrer bataille [2].

Lorsque l’équipe qui a pris le pouvoir à l’occasion de l’élection de George W. Bush (Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz, Richard Perle, Condoleezza Rice etc.) sera partie et que les conséquences de sa politique se seront déployées, les historiens étudieront les archives. Il apparaîtra alors que la puissance américaine, loin de combattre les terroristes, a obéi à leurs provocations. Que les fameuses « armes de destruction massive », la lutte contre le terrorisme, la promotion de la démocratie étaient des alibis. Peut-être apparaîtra-t-il aussi qu’il y a eu complot pour manipuler l’opinion américaine.

*  *
Malgré un bombardement publicitaire intense, celle-ci est loin d’être unanime. Le 9 avril 2003, au plus fort de la mobilisation patriotique qui accompagne tout engagement militaire, 20 % des Américains réprouvaient la politique de George W. Bush (source : sondages du Washington Post). Ils sont de plus en plus nombreux une fois l'émotion passée : ils étaient 23 % le 16 avril, 26 % le 30 avril, 29 % le 22 juin, 38 % le 10 juillet, 40 % le 13 septembre, 44 % le 30 septembre, 42 % le 13 et le 29 octobre, 38 % le 21 décembre (après la capture de Saddam Hussein), 40 % le 18 janvier 2004, 47 % le 11 février 2004. (NB : je tiens ce graphique à jour). 

Si la guerre préventive et l’imposition de la force au monde ont pu paraître opportunes à quelques politiciens, elles sont en effet contraires à la tradition américaine qui a toujours donné la priorité à la mise en valeur de ce pays-continent ; elles sont profondément « un-American ». 

Ne nous hâtons donc pas, nous autres Français, de rejeter l’Amérique. Elle a encore des leçons à nous donner : simplicité des rapports humains, esprit pratique, efficacité des entreprises, hardiesse de l’esprit pionnier, savoir-faire des ingénieurs, clarté de la pédagogie etc. Ce n’est pas en méprisant l’Amérique que nous parviendrons à faire de l’Europe un des pôles du monde, mais en assimilant ses apports les plus positifs.

Amis américains, admettez que l'on puisse partager l’opinion de votre (forte) minorité. Les insultes, le boycott, avilissent ceux qui les utilisent. Ceux qui croient pouvoir mépriser la France ne font d'ailleurs qu’exhiber leur ignorance.

*  *
Comme je critiquais la stratégie d’Ariel Sharon un de mes amis juifs, exaspéré, a dit pour me clouer le bec « Avec des amis comme toi, Israël n’a pas besoin d’ennemis ». J'ai répondu : « On n’a jamais de pire ennemi que soi-même ». 
 
Le pire ennemi des États-Unis, c’est l’ivresse de la super-puissance [3] qui les pousse, après d’autres, à se lancer à la conquête du monde (plus précisément à la conquête de ses richesses naturelles car ils n'ont pas besoin de territoires supplémentaires) ; le pire ennemi de la France, c’est cette prétention à dominer l’Europe qui l’incite à la condescendance envers d’autres nations ; le pire ennemi des musulmans, c’est l’intégrisme, etc.

Celui qui aura maîtrisé la part du mal en lui-même sera le maître du monde : il n'aura donc pas besoin de le dominer.


[1] « Der Krieg ist die bloße Fortsetzung der Politik mit anderen Mitteln » (Carl von Clausewitz, Vom Kriege, Volksausgabe p. 50)

[2] « Le sommet de l'art ne consiste pas à gagner des batailles, mais à briser la résistance de l’ennemi sans livrer bataille » Sunzi, L’Art de la guerre (« Bingfa »), III 2.

[3] « Qu’y puis-je si un excès de puissance m’entraîne à la dictature du monde ? » (Jean Orieux, Talleyrand, Flammarion 1970, p. 491). Cette phrase d’une remarquable absurdité est de Napoléon Ier (qu’est-ce en effet qu’un « excès de puissance » contre lequel on est impuissant, sinon une faiblesse ?).