Il existe diverses formes de
sensibilité et l’on accordera, sans doute, qu’elles ont chacune le droit de
s’exprimer. Qu’il me soit donc permis d’émettre, dans le concert des émotions
que la mort de Jean-Paul II a provoquées, une note discordante.
Ce pape a été un grand
politique : il a contribué à la chute de l’empire soviétique, édifice imposant
mais vermoulu. Il a su utiliser les médias en artiste, animant des spectacles
« son et lumière » parmi un public enthousiaste.
Qu’il ait été un bon
théologien, je ne suis pas qualifié pour en décider. Toutefois j’en doute car il
est difficile pour une même personne d’être à la fois un dirigeant et un
expert
compétent. Il a beaucoup publié : je n’ai rencontré en le lisant ni un grand
écrivain, ni un penseur profond.
On ne peut que lui donner
raison quand il voit dans la Tradition une source de vérité et de liberté. Mais
on peut ne pas partager sa conception de la tradition. Il a voulu par exemple
faire du célibat des prêtres une obligation : or il ne s’agit pas là d’une
tradition de l’Église, mais d’une règle que les Écritures ne mentionnent pas et
qui est devenue une habitude.
La tradition ne peut être
vivante que si elle s'incarne dans la diversité et l’évolution
des sociétés. Elle cesse de vivre si on la fige sous le respect d’une discipline
ou d’un dogme, en refusant de considérer l’être humain hic et
nunc : on court alors le risque d'excommunier les meilleurs, comme l'Église
l'a fait en 1908
avec Alfred Loisy (1857-1940).
* *
Jean-Paul II a encouragé les
croyants à manifester leur dévotion à Lourdes, Fatima et Medjugorje. Certains aiment les images pieuses, les médailles bénites, les
processions, les pèlerinages. D’autres préfèrent approfondir en silence, dans le
secret de leur cœur, un dialogue avec le seigneur Jésus, source du respect envers les autres.
Ce dialogue, les effusions
médiatiques que Jean-Paul II a mises en scène pouvaient-elles le favoriser ?
Et quelle a pu être, alors que les églises et les séminaires sont pratiquement
vides, la signification du succès des JMJ ?
Dans les pays riches, dont la
population connaît pour la première fois de son histoire le bien-être
matériel, il s'agit maintenant d'accéder au bien-être mental.
Deux voies
s'ouvrent : l'une vers la sagesse, l'autre vers
l'imaginaire et vers ce culte de l'émotion qui fait
si bon ménage avec les bons sentiments, les larmes, l'exaltation.
Beaucoup de personnes ont placé
Jean-Paul II sur un petit autel intime où il voisine avec lady Diana et d’autres
étoiles médiatiques. Le culte des vedettes est une résurgence du paganisme,
résurgence sonore, brillante, mais sans profondeur.
Elle a été alimentée par les manifestations d’idolâtrie qu'a organisées l’Église
autour du pape : c’est là pour beaucoup de fidèles un fait douloureux.
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