« Le système
d’information est stratégique » : on entend souvent cette phrase
dans la bouche des dirigeants. On doit en tirer la conséquence immédiate :
le SI, c’est dans l’entreprise l’affaire du stratège lui-même,
c’est-à-dire du dirigeant suprême, président ou DG.
Mais on entend souvent une autre phrase, éventuellement prononcée par la même
personne à un autre moment : « Tout ça, c’est de l’informatique »,
autrement dit « de la technique », d’obscures questions spéciales,
mais ancillaires, dont il ne convient pas que le stratège se soucie.
Passons sur ces incohérences
et prenons la première phrase au sérieux. Si la qualité du SI
est le souci prioritaire du stratège, cela doit se transcrire dans
l’organisation de l’entreprise. Les deux directions que le DG suivra de plus
près, ce sont les DGA chargées de la MOA et de la MOE ;
l’organigramme prendra la forme suivante (voir « Organisation
et organigramme ») :
Nous avons décrit ailleurs les
responsabilités et les soucis de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise
d’œuvre (voir « Servitude et
grandeur du DSI » et « Servitude
et grandeur de la MOA »). Il importe que le responsable de la maîtrise
d’ouvrage soit un « client compétent » de la maîtrise d’œuvre,
que celle-ci soit à l’écoute de ce client, enfin que les deux directions
entretiennent des rapports mutuellement respectueux (même s’ils sont énergiques
et sans complaisance). Pour tirer de ce dialogue l'énergie qui permet de faire
progresser l'entreprise, et éviter que les explosions soient destructrices, Il est nécessaire qu’un tiers vienne
l'arbitrer : ce tiers, ce sera le DG lui-même si celui-ci estime vraiment que « le SI, c’est stratégique ».
Répartition des
missions
Supposons que l’on nomme
« Plate-forme informatique » et « SI » ces deux DGA. Quelles seront leurs
missions ?
Le responsable de la
plate-forme informatique coiffe les directions
qui composent la DSI actuelle : études, exploitation, télécom, informatique
distribuée, support
aux utilisateurs, veille technologique etc. La le responsable du SI assure la coordination et
l’animation du réseau des MOAD, l’urbanisme du SI,
son administration (référentiels, administration
des données) et la fonction de MOAD
auprès du DG (voir « Rôle de la MOA »
et « Articuler expertise et décision »).
On devrait aussi lui rattacher la communication, le contrôle de gestion et
l’audit, en raison de l'importance prise par le SI dans l'organisation de
l'entreprise comme dans sa fonction de production.
Il ne nous échappe pas qu’un
tel schéma fera sursauter, tant il est éloigné des organigrammes habituels : il n’est pas usuel de rattacher
au système d'information les directions du contrôle de gestion, de l’audit
et de la communication. Cependant il y aurait de bonnes raisons pour cela :
-
Ces trois directions sont transverses, concernent l’ensemble de
l’entreprise, s’appuient mutuellement.
-
Il n’est pas pertinent de rattacher, comme on le fait souvent, le contrôle
de gestion à la direction financière : cela donne à l’aspect financier
de l’entreprise une place exagérée dans le reporting (au détriment de la
connaissance des parts de marché, de la veille concurrentielle, de la qualité
des processus etc.), et cela
oblige le contrôle de gestion à se conformer à des codifications comptables
qui reflètent mal l’économie de l’entreprise (voir « Histoire
d’un tableau de bord »).
-
Le contrôle de gestion doit être placé près du sommet du système
d’information, à l’endroit où l’ensemble des processus de production est
visible, où les données affluent, où l’on dispose des résultats du
datawarehouse d’entreprise. Il en est de même de l’audit, qui doit en
outre de vérifier la pertinence de la modélisation des processus.
-
La direction de la communication appartient elle aussi au sommet du système
d’information ; elle présente une synthèse de son versant documentaire
à travers l’Intranet et le serveur Web de l’entreprise ; elle
participe à la mise en forme électronique de la documentation professionnelle.
Le schéma ci-dessus n'est qu'une
suggestion : chaque entreprise, comme
chaque individu, est un cas particulier ; elles se distinguent par leur
taille, leur secteur d’activité, leur maturité, leur histoire, etc. Il
n'existe pas de solution universelle qui puisse convenir à toutes les
entreprises, quelles qu'elles soient.
Adaptations nécessaires
Certaines personnes contestent la distinction entre MOA et MOE :
mieux vaut monter des projets auxquels on affectera des personnes compétentes, tant du
côté métier que du côté informatique, puis fouette cocher ! il reviendra
au directeur de projet de s’activer pour réussir.
Cette organisation, complètement
différente de celle que nous préconisons, peut en effet s’imposer dans certains cas :
-
Lorsqu’il s’agit d’un grand projet, structurant pour l’ensemble
de l’entreprise au point de conditionner sa survie et de mobiliser une part
essentielle de ses ressources : alors en effet il convient de constituer,
au sein de l’entreprise, une « entreprise bis » qui sera la
structure de projet. A sa tête le DG délèguera un homme en qui il a toute
confiance et qu’il soutiendra de toute son autorité. Cette structure
rassemblera les compétences nécessaires, tant du côté métier que du côté
informatique.
-
Lorsque l’entreprise est, pour des raisons le plus souvent
sociologiques, incapable de s’organiser pour modéliser
un SI de qualité : alors en effet le seul moyen pour progresser est de trouver
des hommes à qui l’on demandera d'avoir à la fois les qualités d’un saint, d’un
héros et d’un génie ; on les placera à la tête de grands projets, le
DG les soutiendra de son mieux
en espérant qu’ils réussiront malgré les chausse-trappes que leur opposera
l’organisation. L’aventure de la direction de projet tente beaucoup de
personnes, mais rares sont celles qui s’y risquent deux fois. C’est à
cette organisation que l’on doit le taux d’échec de 31 % qu'a relevé le
Standish Group (voir « Méthodes
concernant un projet »).
En dehors de ces exceptions, il
nous semble qu’il convient de se détourner de ces méthodes « héroïques »,
glorieuses mais risquées. Mieux vaut mettre en place des maîtrises
d’ouvrage professionnelles, qui sauront spécifier les travaux strictement nécessaires,
que de lancer une rafale de projets au risque de désorganiser
l’entreprise (voir « Organisation par
projets »). D’ailleurs si l’entreprise est organisée par projets,
qui déterminera la liste des projets à lancer, et selon quels critères ?
Qui maîtrise le budget ?
Aujourd’hui, la plupart des
entreprises gèrent le budget informatique de l’année A de la façon suivante :
-
les maîtrises d’ouvrage préparent la liste des projets informatiques
correspondant à leurs besoins vers le milieu de l’année A – 1 ; les
coûts sont parfois évalués non en euros, mais en homme*jour de programmeur,
ce qui incite à négliger les coûts de la MOA (spécification, formation des
utilisateurs, déploiement etc.) ;
on distingue les projets déjà lancés (qu’il faut poursuivre) et les projets
nouveaux, classés par ordre de priorité et de coût ;
-
cette liste est arbitrée par le CSSI vers octobre de l’année A – 1 ;
-
il en résulte qu’à cette date, on connaît l’enveloppe des développements
demandés par chaque maîtrise d’ouvrage ; l’ensemble de ces enveloppes
est utilisé pour constituer la part du programme de travail de la direction des
études consacrée aux projets ;
-
la DSI présente, vers le milieu de l’année A – 1, ses prévisions
budgétaires ; elles comportent, outre les développements, les postes suivants : mise à niveau
du parc de postes de travail, des machines, du réseau ; contrats de
« TMA » (« tierce maintenance applicative ») ; etc.
-
le budget correspondant est, après suppression de quelques dépenses,
attribué à la DSI au début de l’année A ;
-
dans le courant de l’année, la DSI assure la gestion des contrats avec
les fournisseurs (appel d’offre, dépouillement et sélection, conclusion du
contrat, suivi de la réalisation, vérification du service fait, paiement des
factures), négocie les avenants etc.
-
lorsque des ajustements sont nécessaires en cours d’année (changer de
solution, alléger un projet, faire passer un travail sur l’exercice suivant),
la DSI en prend l’initiative, en concertation bien sûr avec les maîtrises
d’ouvrage.
Ce dispositif a des conséquences :
-
Une maîtrise d’ouvrage ne peut pas connaître le coût de son système
d’information : les dépenses consacrées aux projets ne représentent au
plus que le quart du coût de l’informatique, une bonne moitié revenant au
poste de travail (voir « Ce que coûtent
les PC en réseau ») ;
-
Les contrats de TMA (voir « Rôle du système
d’information dans l’économie de l’entreprise ») recouvrent, au
forfait, la maintenance proprement dite (« Maintien en condition opérationnelle »),
la « maintenance évolutive » (développements nouveaux jugés en
principe trop petits pour faire l’objet de projets). La dynamique des coûts
du système d’information, qui relie les dépenses de maintenance
d’aujourd’hui à l’ensemble des investissements réalisés à l’occasion
des projets passés, est ainsi masquée (voir « Gestion
du système d’information »).
-
La maîtrise d’ouvrage ne
dispose donc pas des informations qui lui permettraient d’arbitrer entre le coût
du système d’information et le coût d’autres facteurs de production ;
il en résulte que, sauf coup de chance, elle sera soit sous-informatisée, soit
sur-informatisée (voir « A la
recherche du taux d’informatisation optimal »).
-
Comme la DSI assure la gestion du budget informatique, la maîtrise
d’ouvrage a, sauf effort particulier de transparence de la part de la DSI, peu
de visibilité sur l’avancement des dépenses, voire sur l’avancement des
travaux. Les directeurs de projet eux-mêmes ont du mal à obtenir des
informations. Souvent la DSI est pleine de bonne volonté, mais elle ne parvient
pas elle-même à rassembler les informations nécessaires : quand il
n’y a pas de connaissance, a fortiori il ne peut pas y avoir de
transparence.
-
Comme la DSI a l’initiative des décisions concernant l’exécution du
budget informatique, les maîtrises d’ouvrage ont le sentiment – parfois
fondé, parfois infondé – que « l’informatique n’en fait qu’à sa tête »
et que, parmi les projets dont la réalisation a été décidée, ceux qui intéressent
les informaticiens avancent
mieux que les autres (parce qu’ils sont conformes à leur doctrine, qu’ils
utilisent des techniques nouvelles dont ils sont curieux, ou au contraire des
techniques traditionnelles qu'ils connaissent bien).
Ce sont là des anomalies
qu’il convient de corriger en attribuant aux maîtrises d’ouvrage la
responsabilité de leur budget informatique. On peut évaluer la maturité de
l'entreprise en matière de SI selon ce critère. Un tel changement suppose toutefois :
-
que les maîtrises d’ouvrage aient les compétences nécessaires, donc
qu’elles soient professionnalisées ;
-
que la DSI fasse un effort en termes de connaissance et de transparence
du suivi des projets ;
-
que des méthodes d’affectation des coûts soient corrigées et complétées.
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