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Qui dirige l’informatique ?

6 mai 2003


Liens utiles

- Organisation et organigramme
- Restaurer le mot "informatique"
- Servitude et grandeur du DSI
- Servitude et grandeur de la MOA
- Quels rôles pour le DSI ?

Dans nos entreprises, on a souvent donné au directeur de l’informatique le titre de « DSI », « directeur du système d’information » (voir « Quels rôles pour le DSI ? »). Pourtant, le SI ne dépend pas de lui seul : les « maîtrises d’ouvrage », les « métiers » de l’entreprise définissent les « fonctionnalités » que le SI doit fournir ; puis la DSI assure la « maîtrise d’œuvre » de la réalisation des produits informatiques, et leur exploitation sur la plate-forme technique informatique et télécoms.

Une organisation bipolaire

Entre l’expression idéale des besoins fournie par la maîtrise d’ouvrage (le « modèle métier ») et la programmation puis l'exécution technique et pratique des services par l’automate, il existe bien sûr un ordre logique et chronologique. Mais il n’existe pas de classement par ordre d’importance : on ne peut pas définir de hiérarchie entre des conditions nécessaires multipliées les unes par les autres, comme celles qui s’empilent dans un modèle en couches. Les divers maillons d’une chaîne sont d’égale importance : si l’un d’eux casse, la chaîne est rompue. Pour dire les choses autrement, dans le produit de diverses variables susceptibles de prendre chacune les valeurs 0 ou 1, il suffit qu'une seule soit nulle pour que le produit soit nul : elles sont donc toutes d’une égale importance, ou plus exactement la question de leur classement par ordre d’importance n’a pas de sens.

Ainsi, cela n'a pas de sens de demander qui, de la maîtrise d’ouvrage ou de la maîtrise d’œuvre, joue le rôle le plus important dans la construction du SI : il suffit de dire que les deux sont nécessaires. Sans machine et sans programme (c’est-à-dire sans « APU », voir « Restaurer le mot « informatique »), il n’y a pas de SI ; sans spécifications, il n’y a pas de SI non plus.

Il convient donc de dire que le SI résulte de la coopération de deux responsabilités conjointes  : celle de la maîtrise d’œuvre et celle de la maîtrise d’ouvrage. Il existe d’autres exemples de ce type de coopération dans l’entreprise : la fonction économique de l’entreprise résulte de la coopération entre la direction de la production (usines, logistique, maintenance, achats, stocks) et la direction commerciale (réseau, back-office, marketing) (voir« Organisation et organigramme »). Ces deux directions sont engagées dans une dialectique permanente, parfois conflictuelle sans doute[1], mais essentielle à la dynamique de l’entreprise.

Une seule tête ?

Peut-on demander au DSI d'assurer la responsabilité d'ensemble du système d'information ? C'est ce que sous-entend le titre de « directeur du système d’information » qui lui a été donné. Cependant il y a là une impossibilité à la fois pratique et psychologique.

Au plan psychologique, il y a quelque chose d'inhumain à exiger de celui qui a la responsabilité de l'usine informatique, et de tous les soucis techniques et sociologiques que cela comporte (voir « Servitude et grandeur du DSI »), d'assumer en outre la responsabilité de ce que l'on appelle « alignement stratégique du système d'information » et aussi de son adéquation fine aux besoins des « métiers », aux méandres des processus de production. L'expérience montre qu'en fait ces deux préoccupations ne peuvent pas être gérées simultanément par la même cervelle, quel que soit le talent de la personne. Ou bien - et c'est le cas le plus fréquent - le DSI se consacre à l'usine informatique, qui a largement de quoi l'occuper, et s'il ne se désintéresse pas du système d'information il ne se focalise pas sur lui ; ou bien il délègue à un adjoint les soucis de l'usine informatique et il s'occupe sérieusement du système d'information, mais alors se pose un problème d'arbitrage.  

Au plan pratique, en effet, il ne faut pas imaginer que la coopération entre MOA et MOE puisse se dérouler sans à-coups : les priorités, les contraintes de l'un et de l'autre sont différentes, le rythme des changements et des échéances aussi. Il faut donc qu'un arbitre vienne épisodiquement trancher les problèmes qui en résultent. Demander au DSI d'assumer à la fois la responsabilité de l'usine informatique et du système d'information, c'est le faire juge et partie ; c'est inévitablement biaiser l'arbitrage en faveur des contraintes de l'usine et au détriment des besoins des « métiers ».

Arbitrage par le DG

« Le système d’information est stratégique » : on entend souvent cette phrase dans la bouche des dirigeants. On doit en tirer la conséquence immédiate : le SI, c’est dans l’entreprise l’affaire du stratège lui-même, c’est-à-dire du dirigeant suprême, président ou DG[2]. Mais on entend souvent une autre phrase, éventuellement prononcée par la même personne à un autre moment : « Tout ça, c’est de l’informatique », autrement dit « de la technique », d’obscures questions spéciales, mais ancillaires, dont il ne convient pas que le stratège se soucie[3].

Passons sur ces incohérences et prenons la première phrase au sérieux. Si la qualité du SI[4] est le souci prioritaire du stratège, cela doit se transcrire dans l’organisation de l’entreprise. Les deux directions que le DG suivra de plus près, ce sont les DGA chargées de la MOA et de la MOE ; l’organigramme prendra la forme suivante (voir « Organisation et organigramme ») :

Nous avons décrit ailleurs les responsabilités et les soucis de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre (voir « Servitude et grandeur du DSI » et « Servitude et grandeur de la MOA »). Il importe que le responsable de la maîtrise d’ouvrage soit un « client compétent » de la maîtrise d’œuvre, que celle-ci soit à l’écoute de ce client, enfin que les deux directions entretiennent des rapports mutuellement respectueux (même s’ils sont énergiques et sans complaisance). Pour tirer de ce dialogue l'énergie qui permet de faire progresser l'entreprise, et éviter que les explosions soient destructrices, Il est nécessaire qu’un tiers vienne l'arbitrer : ce tiers, ce sera le DG lui-même si celui-ci estime vraiment que « le SI, c’est stratégique ».

Répartition des missions

Supposons que l’on nomme « Plate-forme informatique » et « SI » ces deux DGA. Quelles seront leurs missions ?

Le responsable de la plate-forme informatique coiffe les directions qui composent la DSI actuelle : études, exploitation, télécom, informatique distribuée, support aux utilisateurs, veille technologique etc. La le responsable du SI assure la coordination et l’animation du réseau des MOAD, l’urbanisme du SI, son administration (référentiels, administration des données) et la fonction de MOAD auprès du DG (voir « Rôle de la MOA » et « Articuler expertise et décision »). On devrait aussi lui rattacher la communication, le contrôle de gestion et l’audit, en raison de l'importance prise par le SI dans l'organisation de l'entreprise comme dans sa fonction de production.

Il ne nous échappe pas qu’un tel schéma fera sursauter, tant il est éloigné des organigrammes habituels : il n’est pas usuel de rattacher au système d'information les directions du contrôle de gestion, de l’audit et de la communication. Cependant il y aurait de bonnes raisons pour cela :

-          Ces trois directions sont transverses, concernent l’ensemble de l’entreprise, s’appuient mutuellement.

-          Il n’est pas pertinent de rattacher, comme on le fait souvent, le contrôle de gestion à la direction financière : cela donne à l’aspect financier de l’entreprise une place exagérée dans le reporting (au détriment de la connaissance des parts de marché, de la veille concurrentielle, de la qualité des processus etc.), et cela oblige le contrôle de gestion à se conformer à des codifications comptables qui reflètent mal l’économie de l’entreprise (voir « Histoire d’un tableau de bord »).

-          Le contrôle de gestion doit être placé près du sommet du système d’information, à l’endroit où l’ensemble des processus de production est visible, où les données affluent, où l’on dispose des résultats du datawarehouse d’entreprise. Il en est de même de l’audit, qui doit en outre de vérifier la pertinence de la modélisation des processus.

-          La direction de la communication appartient elle aussi au sommet du système d’information ; elle présente une synthèse de son versant documentaire à travers l’Intranet et le serveur Web de l’entreprise ; elle participe à la mise en forme électronique de la documentation professionnelle.

Le schéma ci-dessus n'est qu'une suggestion : chaque entreprise, comme chaque individu, est un cas particulier ; elles se distinguent par leur taille, leur secteur d’activité, leur maturité, leur histoire, etc. Il n'existe pas de solution universelle qui puisse convenir à toutes les entreprises, quelles qu'elles soient.  

Adaptations nécessaires

Certaines personnes contestent la distinction entre MOA et MOE : mieux vaut monter des projets auxquels on affectera des personnes compétentes, tant du côté métier que du côté informatique, puis fouette cocher ! il reviendra au directeur de projet de s’activer pour réussir.

Cette organisation, complètement différente de celle que nous préconisons, peut en effet s’imposer dans certains cas :

-          Lorsqu’il s’agit d’un grand projet, structurant pour l’ensemble de l’entreprise au point de conditionner sa survie et de mobiliser une part essentielle de ses ressources : alors en effet il convient de constituer, au sein de l’entreprise, une « entreprise bis » qui sera la structure de projet. A sa tête le DG délèguera un homme en qui il a toute confiance et qu’il soutiendra de toute son autorité. Cette structure rassemblera les compétences nécessaires, tant du côté métier que du côté informatique.

-          Lorsque l’entreprise est, pour des raisons le plus souvent sociologiques, incapable de s’organiser pour modéliser un SI de qualité : alors en effet le seul moyen pour progresser est de trouver des hommes à qui l’on demandera d'avoir à la fois les qualités d’un saint, d’un héros et d’un génie ; on les placera à la tête de grands projets, le DG les soutiendra de son mieux[5] en espérant qu’ils réussiront malgré les chausse-trappes que leur opposera l’organisation. L’aventure de la direction de projet tente beaucoup de personnes, mais rares sont celles qui s’y risquent deux fois. C’est à cette organisation que l’on doit le taux d’échec de 31 % qu'a relevé le Standish Group (voir « Méthodes concernant un projet »).

En dehors de ces exceptions, il nous semble qu’il convient de se détourner de ces méthodes « héroïques », glorieuses mais risquées. Mieux vaut mettre en place des maîtrises d’ouvrage professionnelles, qui sauront spécifier les travaux strictement nécessaires, que de lancer une rafale de projets au risque de désorganiser l’entreprise (voir « Organisation par projets »). D’ailleurs si l’entreprise est organisée par projets, qui déterminera la liste des projets à lancer, et selon quels critères ?

Qui maîtrise le budget ?

Aujourd’hui, la plupart des entreprises gèrent le budget informatique de l’année A de la façon suivante :

-          les maîtrises d’ouvrage préparent la liste des projets informatiques correspondant à leurs besoins vers le milieu de l’année A – 1 ; les coûts sont parfois évalués non en euros, mais en homme*jour de programmeur, ce qui incite à négliger les coûts de la MOA (spécification, formation des utilisateurs, déploiement etc.) ; on distingue les projets déjà lancés (qu’il faut poursuivre) et les projets nouveaux, classés par ordre de priorité et de coût ;

-          cette liste est arbitrée par le CSSI vers octobre de l’année A – 1 ;

-          il en résulte qu’à cette date, on connaît l’enveloppe des développements demandés par chaque maîtrise d’ouvrage ; l’ensemble de ces enveloppes est utilisé pour constituer la part du programme de travail de la direction des études consacrée aux projets ;

-          la DSI présente, vers le milieu de l’année A – 1, ses prévisions budgétaires ; elles comportent, outre les développements,  les postes suivants : mise à niveau du parc de postes de travail, des machines, du réseau ; contrats de « TMA » (« tierce maintenance applicative ») ; etc.

-          le budget correspondant est, après suppression de quelques dépenses, attribué à la DSI au début de l’année A ;

-          dans le courant de l’année, la DSI assure la gestion des contrats avec les fournisseurs (appel d’offre, dépouillement et sélection, conclusion du contrat, suivi de la réalisation, vérification du service fait, paiement des factures), négocie les avenants etc.

-          lorsque des ajustements sont nécessaires en cours d’année (changer de solution, alléger un projet, faire passer un travail sur l’exercice suivant), la DSI en prend l’initiative, en concertation bien sûr avec les maîtrises d’ouvrage.

Ce dispositif a des conséquences :

-          Une maîtrise d’ouvrage ne peut pas connaître le coût de son système d’information : les dépenses consacrées aux projets ne représentent au plus que le quart du coût de l’informatique, une bonne moitié revenant au poste de travail (voir « Ce que coûtent les PC en réseau ») ; 

-         Les contrats de TMA (voir « Rôle du système d’information dans l’économie de l’entreprise ») recouvrent, au forfait, la maintenance proprement dite (« Maintien en condition opérationnelle »), la « maintenance évolutive » (développements nouveaux jugés en principe trop petits pour faire l’objet de projets). La dynamique des coûts du système d’information, qui relie les dépenses de maintenance d’aujourd’hui à l’ensemble des investissements réalisés à l’occasion des projets passés, est ainsi masquée (voir « Gestion du système d’information »).

-           La maîtrise d’ouvrage ne dispose donc pas des informations qui lui permettraient d’arbitrer entre le coût du système d’information et le coût d’autres facteurs de production ; il en résulte que, sauf coup de chance, elle sera soit sous-informatisée, soit sur-informatisée (voir « A la recherche du taux d’informatisation optimal »).

-          Comme la DSI assure la gestion du budget informatique, la maîtrise d’ouvrage a, sauf effort particulier de transparence de la part de la DSI, peu de visibilité sur l’avancement des dépenses, voire sur l’avancement des travaux. Les directeurs de projet eux-mêmes ont du mal à obtenir des informations. Souvent la DSI est pleine de bonne volonté, mais elle ne parvient pas elle-même à rassembler les informations nécessaires : quand il n’y a pas de connaissance, a fortiori il ne peut pas y avoir de transparence.

-          Comme la DSI a l’initiative des décisions concernant l’exécution du budget informatique, les maîtrises d’ouvrage ont le sentiment – parfois fondé, parfois infondé – que « l’informatique n’en fait qu’à sa tête » et que, parmi les projets dont la réalisation a été décidée, ceux qui intéressent les informaticiens avancent mieux que les autres (parce qu’ils sont conformes à leur doctrine, qu’ils utilisent des techniques nouvelles dont ils sont curieux, ou au contraire des techniques traditionnelles qu'ils connaissent bien).

Ce sont là des anomalies qu’il convient de corriger en attribuant aux maîtrises d’ouvrage la responsabilité de leur budget informatique. On peut évaluer la maturité de l'entreprise en matière de SI selon ce critère. Un tel changement suppose toutefois :

-          que les maîtrises d’ouvrage aient les compétences nécessaires, donc qu’elles soient professionnalisées ;

-          que la DSI fasse un effort en termes de connaissance et de transparence du suivi des projets ;

-          que des méthodes d’affectation des coûts soient corrigées et complétées. 


[1] Chacun son rôle : Le directeur de la production : « Comment se fait-il que vous ne parveniez pas à écouler les merveilles que je produis ? ». Le directeur commercial : « Comment voulez-vous que je parvienne à vendre de tels rossignols ? »

[2] Étymologiquement, le mot « stratège » désigne le général à la tête d’une armée, le gouverneur à la tête d’une province, le consul à la tête de l’État. Est « stratégique » ce qui relève de ce niveau de décision.

[3] « La technique, moi, je n’en ai rien à foutre ! », a déclaré Michel Bon, alors président de France Telecom, lors d’une conférence à Dauphine. Et le public, ravi, d’applaudir… Le mépris envers la technique, envers le savoir-faire et le pouvoir faire, est un des corollaires de la cécité stratégique.

[4] Plus précisément la qualité de l’articulation entre l’EHO et l’APU, voir « Restaurer le mot « informatique » ».

[5] Tout en leur demandant parfois de « ne pas faire de vagues » (principe suprême des entreprises immatures).