Pouvons-nous, pour comprendre
l’entreprise, utiliser ce que nous avons appris sur la
charnière dans la personne ? A priori, il semble que non : une
entreprise n’est pas une personne : elle regroupe un ensemble de personnes, de
contrats, d’équipements, qui la situent à l’intersection de divers réseaux
sociologiques, juridiques, physiques, économiques etc.
Cependant ceux que le nomadisme
de la carrière a conduit à travailler dans plusieurs entreprises constatent que
chacune a sa personnalité propre, tout comme un voyageur perçoit la
personnalité d’une ville ou d’un pays. Pour désigner cette personnalité on
utilise deux expressions concernant l’une la face interne, l’autre la face
externe de l’entreprise : la « culture d’entreprise » désigne les valeurs
professionnelles partagées par les personnels et la tonalité des rapports
humains ; le « positionnement » désigne la place que l’entreprise occupe sur le
marché, sa relation avec les divers segments de sa clientèle, avec ses
fournisseurs, sa situation par rapport à ses concurrents.
L’entreprise est ainsi dotée
d’une individualité qui la circonscrit. Elle est en rapport avec un « monde
extérieur » ou son action suscite des événements. Elle élabore cette action dans
le « monde intérieur » de l’organisation et du processus de production.
Tout comme l’action de
l’individu, celle de l’entreprise peut être réactive (réponse à un événement du
monde extérieur) ou proactive (initiative qui crée l’événement en anticipant la
réponse du monde extérieur). Elle suppose la mise en œuvre de concepts et de
modèles. Les mots « gestion » et « investissement » s’y appliquent évidemment,
désignant l’un les actions courantes, l’autre les actions différées.
L’entreprise est le lieu où le
travail des êtres humains s’organise afin d’agir sur la nature pour produire des
résultats utiles (voir « Qu’est-ce qu’une entreprise ? »).
La succession des tâches s’organise selon un processus (voir « Approche
du système d'information par les processus ») pour aboutir à l’action sur le
monde extérieur :
Tout comme celle de la
personne, l’action de l’entreprise peut comporter des délais ; ainsi par exemple
une entreprise industrielle alimente un stock en mobilisant les facteurs
nécessaires selon un programme de production résultant d’une anticipation de la
demande, elle-même fondée sur l’analyse statistique du flux des commandes :
* *
Pour décrire la
façon dont l'entreprise articule la pensée et l'action, nous indiquerons
ci-dessous des liens qui renvoient vers des travaux antérieurs.
L'organisation
moderne de l'entreprise a commencé à prendre forme dans les années 1880 (voir « Évolution
du rôle du système d’information : du concept au processus
»). Alors que le langage, les
concepts et les modèles qu'utilisent un individu résident dans sa tête,
l'organisation de l'entreprise, son langage, ses concepts, ses modèles, ses
processus résident dans son système d'information : le SI est le lieu où
se condense le langage de l'entreprise. Les concepts qui ne sont pas
définis par le système d'information se trouvent dans la « tache
aveugle » de l'entreprise : les individus qui la composent ne peuvent pas
les utiliser ; plus précisément s'ils peuvent les utiliser pour leur réflexion
individuelle ils ne peuvent pas les partager, les faire circuler dans
l'entreprise.
Supposez qu'une
personne de l'entreprise s'avise d'utiliser, pour son usage personnel, un
référentiel des produits ou de l'organisation différent de celui qui réside dans
le SI. Personne ne comprendra ce qu'elle veut dire ; l'écart entre ce
référentiel personnel et le langage de l'entreprise introduira de la confusion
jusque dans ses idées, et si cette personne ne réussit pas à faire modifier le
référentiel du SI elle finira par renoncer à son référentiel personnel, même
s'il est plus pertinent que celui de l'entreprise.
Le référentiel du
SI délimite le langage de l'entreprise,
ce que l'on peut y penser et y dire ; s'il évolue, c'est lentement. Toutes les
entreprises voudraient aujourd'hui être souples et évolutives, pour pouvoir
parer aux risques que comporte une économie instable et violente : mais elles ne
pourront y parvenir que si elles s'appliquent à maîtriser leur
référentiel, à organiser leur
administration des données.
Si les concepts
délimitent ce que l'entreprise peut percevoir, la définition des processus
délimite ce qu'elle peut faire ; dans l'entreprise, les modèles sont non pas
explicatifs mais pratiques ; la modélisation du processus
est l'étape essentielle de la maîtrise de l'action. Les processus sont
désormais, tout comme les concepts, gravés dans le SI qui les élucide et les
outille (voir « Optimiser ou élucider les processus »
et « A propos du Workflow »).
Le langage de
l'individu n'est pas purement conceptuel : au découpage précis des concepts
s'ajoutent la symbolique et les connotations dont est porteur le langage naturel
(voir « Concept, processus et symbole »).
L'informatique de
communication permet au SI d'équiper la communication en langage naturel, et
de véhiculer les commentaires nécessaires à la compréhension des concepts et des
données.
Dans l'entreprise,
la réflexion sur l'action, les concepts et les processus se concrétise enfin par
la démarche dite d'urbanisation.
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Urbanisation,
modélisation des processus, référentiel et administration des données : telles
sont les composantes qui, dans l'entreprises, sont l'équivalent de la réflexion,
la construction des modèles et l'élaboration des concepts chez l'individu. La
qualité des concepts est soumise pour l'un comme pour l'autre au critère de
pertinence ; la qualité des modèles, à celui d'efficacité ; l'ensemble doit
servir l'action.
L'articulation de
l'action et de la pensée peut, dans l'entreprise comme dans l'individu, être
altérée par des pathologies : il arrive que la
complication du fonctionnement quotidien, ou encore les jeux de pouvoir, fassent
perdre de vue les finalités de l'entreprise. Alors celle-ci se bureaucratise. Le
SI porte la trace de ces pathologies, et c'est en l'examinant que l'on peut
porter le diagnostic le plus sûr.
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